16 mars 2021

Quand ça se passe mal, comment gérer les conflits et/ou faire justice en camp ?

Par allumefeu

En début de camp on prend souvent le temps de créer une charte, un ensemble de règles décidées en commun pour le respect et l’épanouissement de toustes. Cependant l’application de la charte est limitée et se cantonne souvent à des rappels à l’ordre fréquents de la part de la maîtrise, y compris lors de conflits. Ces rappels à l’ordre, bien que souvent suffisants ne permettent pas de gérer tous les problèmes.

Bon maintenant tu dis pardon. Solution ou hypocrisie ?

Il arrive aussi très souvent que, par solution de facilité ou par manque de temps, on ne cherche pas à résoudre les conflits plus avant que de faire s’excuser les jeunes impliqués dans ceux-ci. Comme si cet acte de se dire pardon mutuellement sous l’ordre d’un adulte résolvait quoi que ce soit. Comme si cet ordre ne représentait pas potentiellement une injustice supplémentaire pour l’enfant qui peut s’être légitimement défendu ou une source d’incompréhension et par là même de violence pour le jeune qui ne comprend pas nécessairement le tort causé.

Il y a donc une absence de prise en compte de la justice en camps. C’est presque un impensé !

Je crois que c’est un problème et que la justice devrait être au minimum réfléchie par la maîtrise si elle n’est pas construite ensemble avec les jeunes au moment de l’écriture de la charte ou dans sa continuité.

Le camp, une société miniature où la justice est nécessaire ?

Le camp, c’est d’abord une communauté d’humains vivant ensemble selon des règles établies, et donc une société. Et comme dans chaque communauté humaine, il y a des conflits et des violences. Celles-ci peuvent être plus ou moins importantes et plus ou moins violentes, et peuvent s’entretenir. Notamment parce qu’une réponse assez spontanée à la violence est la violence : on a toustes déjà vu deux jeunes se blesser mutuellement, faire mine de s’excuser et recommencer dès qu’on a le dos tourné jusqu’à la fin du camp !

Le camp c’est une mini société qui se forme temporairement à partir de et dans une société préexistante. Le camp n’est donc pas exempt des habitudes, préjugés, inégalités, discriminations et violences de la société et réciproquement dans la société la vie des personnes présentes sur le camp sera influencée par leur vie sur le camp. Et il peut aussi y avoir des violences et discriminations spécifiques à ce lieu qui peuvent apparaître dans un camp.

Dans tous les cas, ne pas répondre aux violences, quelles que soient leur forme, c’est laisser se perpétuer les cycles de violences et les relations de dominations qui peuvent émerger. Et même quand les violences s’arrêtent, ce qui est le cas le plus courant, la blessure reste pour la victime, n’ayant pas l’occasion de guérir ou au moins d’être reconnue. Et c’est d’autant plus grave que parfois si on prenait le temps de répondre aux violences, on se rendrait compte que des incidents en apparence isolés ne le sont pas.

Ne pas faire justice, c’est donc ne pas protéger les jeunes (et parfois les chefs) et manquer au moins partiellement à donner un cadre sécurisant et permettant de s’épanouir à chacun·e.
Ne pas faire justice, c’est aussi ne pas remplir notre rôle d’éducation. C’est ne pas permettre aux enfants de respecter et d’écouter les autres et se respecter eux. C’est aussi transmettre aux victimes comme aux auteurs des violences, quelles qu’elles soient, que la violence est normale, qu’on ne peut attendre des auteurs que des excuses pour la forme et que la justice n’est pas due aux victimes. C’est donc laisser apprendre à des enfants que les violences à leur égard sont normales. Et je ne sais pas lequel des deux aspects est le pire.

Une justice nécessaire, oui mais comment ?

Pour y répondre il faut à mon avis se poser plusieurs questions : À quoi sert la justice ? Qui concerne-t-elle ? Qui s’en occupe ?

Je ne vais donc que donner les pistes/ réflexions que j’ai là-dessus. Mais ma conception de la justice n’est pas universelle et c’est à tout un chacun et idéalement avec les jeunes d’en discuter et d’y réfléchir

  • À quoi sert la justice ?

– À briser les cycles de violence, éviter que le mal se perpétue à l’infini, à revenir à un état stable, même s’il ne sera jamais l’état d’avant les violences. À avancer.

– À reconnaître les victimes, leurs souffrances, à les réparer et idéalement à fournir un espace de guérison. Aussi à faire que ce ne soit pas elles qui aient le poids de la violence sur leurs épaules.

– À éviter que ces violences ne se reproduisent. À prévenir les prochaines. Collectivement, comprendre ce qui a pu leur permettre d’émerger et de sévir, et individuellement, apprendre, changer et ne pas refaire.

  • Qui concerne la justice ?

-En premier lieu, tout le monde qui peut être impliqué dans un conflit : les jeunes, les chef·taines et les personnes invitées. Elle concerne aussi tout rapport entre personnes (donc y compris entre jeunes et chef·taines).

-Plus précisément en cas de conflit ou de violence, les personnes impliquées directement (parties d’un conflit, victimes et auteurs de violences), mais, dans une moindre mesure les témoins et enfin tout le camp en tant que société.

  • Qui s’en occupe ?

Je pense que c’est à définir selon l’âge des jeunes (ce n’est pas la même chose avec des jeunes de 16 ans qu’avec des jeunes de 10 ans), selon ce qu’on décide de faire dans le projet pédagogique, et idéalement en en discutant avec les jeunes. Cependant je pense aussi que dans la mesure où les chef·taines sont responsables c’est à elleux de veiller à ce qu’une justice ait lieu et à sa justesse. Je pense aussi que dans tous les cas gérables sur un camp sans aide extérieure ou presque, la justice relèvera surtout de la médiation. Enfin il me paraît évident que les personnes faisant en sorte que la justice ait lieu soient extérieures au conflit tant que c’est possible.

Bon maintenant qu’on a dit tout ça, on choisit quel modèle de justice ?

Clairement, si on cherche comme moi dans la justice à remplir les 3 objectifs que j’ai énoncé plus haut, la justice punitive n’a aucun intérêt, elle est violente pour les auteurs des violences, qui vraisemblablement la rejettent et ne se remettent pas en question donc continuent. Elle rejette toute la faute sur eux, là encore on n’évolue pas collectivement pour éviter les problèmes et je peux vous dire que parfois, il suffit d’une personne témoin qui désamorce pour éviter de pires violences. Elle favorise la solidarité avec les auteurs des violences et le fait de considérer que dire la violence c’est de la délation ou être une balance. Et tout aussi grave, cela n’apporte aucune forme de réparation et de reconnaissance réelle de la victime qui pourrait même ne pas vouloir de ça et donc ne pas demander d’aide ou être exclue par les ami·es possiblement commun·es de l’auteur des violences. Cette forme de justice acte de la cassure, force à prendre position et n’invite aucunement à retrouver une paix durable, en plus de n’avoir aucun intérêt éducatif.

Mais alors on fait quoi ? Juste demander un pardon ne suffit pas et n’a aucun effet, et punir ajoute du mal à du mal.

Certains vous diront de sanctionner, de donner une tâche à faire permettant de réparer le mal commis. C’est certainement une meilleure solution que les deux déjà évoquées. Elle favorise la compréhension du problème et induit une vraie réparation et reconnaît vraiment la blessure infligée. Mais cette solution n’est pas applicable à tout problème et est sûrement plus adaptée aux dégradations communes qu’à la résolution de violences personnelles. Et surtout elle oublie quand même beaucoup la reconstruction, pas forcément à l’identique, des relations dans la communauté et l’aspect psychologique du conflit ou des blessures. Cette solution est aussi totalement inefficace dans les cas de conflits relativement équilibrés.

Je propose donc de construire une justice en camp basée sur la justice restauratrice voire transformatrice : la justice restauratrice fonctionne aussi sur la réparation, comme la sanction, elle peut être plus interpersonnelle, mais intègre une partie toute aussi importante de médiation et de dialogue, avec un temps d’excuse. Vous pourriez me dire que ce n’est que combiner les excuses que j’ai dévalorisées précédemment dans l’article et la sanction que j’ai moins vivement critiquée. Ce n’est pas le cas, d’une part parce qu’elle implique un temps de dialogue avec médiation entre les parties, donc où la victime peut demander à l’auteurice de violences ses raisons, pourquoi iel les a faites, et l’auteurice peut ellui se questionner dessus et sur la réception des violences par les victimes. Ainsi le temps des excuses est vrai et non pour obéir, la victime est réellement écoutée et le processus de guérison peut être enclenché. Aussi, la réflexion par rapport aux actions étant réelle, les chances que l’apprentissage et la compréhension des problèmes aient lieu sont importantes de la part des personnes impliquées.
La justice transformatrice diffère car elle implique aussi une réflexion et en conséquence des changements sur la société qui a permis à la violence d’émerger. Elle a donc un rôle de prévention plus fort et surtout redonne par la réflexion du pouvoir aux témoins éventuels qui peuvent donc agir et éviter les violences.

Enfin je pense que cette justice est plus facile à comprendre de la part des jeunes, car ses objectifs sont plus clairs que ceux de la punition. Et aussi qu’expérimenter une autre justice dans un environnement globalement protégé permet de donner des pistes pour le reste de la vie en société aux jeunes et aux cheft·aines, que ce soit dans la résolution de conflit ou pas. Et que cela ne peut qu’être bénéfique au niveau tant individuel que collectif dans une société où on évacue souvent de la justice la reconstruction des victimes.

Pour approfondir et mieux découvrir ces formes de justices en comparaison avec la justice punitive:
-Je vous invite à lire le long et excellent dossier de hacking social :https://www.hacking-social.com/2020/11/22/une-autre-facon-de-faire-justice-la-justice-restauratrice-et-transformatrice/
-J’ai également créé une activité à destination des 8-11 ans pour réfléchir sur la résolution de conflit, le rôle des excuses et du pardon. Cette activité devrait être disponible comme ressource sur le site de L’Allume-Feu.

https://allume-feu.tila.im/index.php/2021/03/19/activite-sur-la-justice-en-camp/

Si cette réflexion vous inspire des activités, n’hésitez pas à nous en faire part dans le courrier (on pourrait les publier). Et pourquoi pas faire une activité de réflexion sur la justice avec les jeunes plus âgés ?

Ner