16 mars 2021

L’interview exquise : boulanger à Bécours

Par allumefeu

L’idée c’est d’interviewer des gens qui font des choses qui nous intéressent. Et de leur demander, à la fin, une question à poser aux personnes que l’on interviewera la fois d’après. Pour cette première, j’ai posé des questions à Armell, de la boulange du Hameau de Bécours.

La boulange de Bécours, c’est quoi ?

Bécours, c’est un hameau en Aveyron, avec 5ha de terrain campable, qui appartient aux Éclaireuses Éclaireurs de France, et accueille des camps scouts. Depuis trois étés, une équipe y fabrique sur place du pain pour fournir les camps, et proposer des ateliers avec les enfants. En 2020, un volontaire a construit un four métal dans le cadre de son service civique, pour pérenniser cette activité dans le scoutisme.

Armell, qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Je suis militant à Rennes, autour de l’écologie et l’autonomie de classe principalement. Ça veut dire à la fois s’organiser contre des réformes ou des oppressions que subissent les classes populaires, mais aussi s’organiser matériellement pour répondre à nos besoins. Notamment je fais partie de la Pâte Mobile, un collectif qui fait du pain à prix libre, et du Réseau de Ravitaillement, qui achemine de la nourriture vers des grévistes, évènements féministes, exilé⸱es…

Comment en es-tu venu à faire du pain ?

C’était en 2014 avec un collectif de précaires, squatteur⸱ses et exilé⸱es. On faisait du pain chacun⸱e à tour de rôle, et en mutualisant on avait du pain chaque semaine. On a eu des galères de lieu, et donc pour continuer, on a construit notre propre four mobile, en 2016. C’est devenu le collectif de la Pâte Mobile.

Et du pain aux EEDF ?

C’est grâce à Germain, un copain de Rennes qui est aux éclés. Il nous a proposé de faire du pain à Bécours, pour les camps d’été. On a fait ça, c’était super chouette, alors on l’a refait. Ça fait trois étés maintenant.

Pourquoi c’était chouette ?

C’est plaisant de participer à la vie des camps et du hameau, dans une relation à la fois proche (on est au même endroit) et un peu distante (ça n’est pas nous qui faisons vivre les camps). On apporte de la nourriture et des ateliers pédagogiques, ça fait un rapport intéressant à la production et à la transmission.

J’avais déjà fait des ateliers pain avec des enfants dans des écoles. Aux éclés, la différence, c’est que les enfants ont mangé le pain depuis plusieurs jours déjà. Ça fait qu’ils et elles ont une attention beaucoup plus forte à ce qu’il se passe pendant l’atelier. Être à Bécours, ça nous a permis de tester des choses sur comment transmettre et d’avoir des conseils.

Habituellement, tu fais du pain dans des espaces plus politisés, en tout cas de façade, que le scoutisme, non ?

Faudrait définir « politique » en fait. Souvent on dit, c’est affirmer des ennemi⸱es et des allié⸱s. Et pas que des personnes, mais aussi des idées et des pratiques. Or, quand on fait de l’éducation populaire, on affirme du positif et des choses à combattre. Donc je vois plutôt une continuité par rapport aux moments de lutte, même s’il y a effectivement des différences, notamment en termes de conflictualité avec les institutions.

Qu’est-ce que tu affirmes alors, politiquement, en faisant du pain à Bécours ?

D’abord, que c’est possible de travailler en autogestion, sans spécialistes et sans chef⸱fes, ce qui n’empêche pas d’avoir une démarche de transmission d’un savoir. Et que le travail n’est pas toujours un travail économique.

Ensuite, le fait de s’inscrire dans un territoire, comme le Hameau de Bécours, et se penser comme participant⸱e à ce qui se passe. D’y développer une forme d’autonomie matérielle.

Le pain, à notre manière en tout cas, c’est simple et appropriable. Ça demande des compétences qui s’apprennent relativement facilement, et des conditions physiques que beaucoup de gens ont. Y compris avec un handicap, souvent on peut s’organiser pour que ce soit possible.

Justement, est-ce que votre pain est particulier ?

D’abord, on fait du pain au levain avec de la farine bio. La majorité des boulanger⸱es utilisent des levures clonées (la levure boulangère) alors que nous on utilise les levures présentes naturellement dans le blé que l’on utilise : c’est le levain.

Souvent aujourd’hui en agriculture, y a ce truc d’avoir un outil qui va pour tout, un blé qui pousse partout. Nous on veut plutôt des choses qui s’adaptent aux terres, aux espaces. Penser la diversité et la multiplicité plutôt que le produit particulièrement efficace.

L’autre intérêt, c’est qu’on ne dépend pas de l’industrie. On a besoin de farine, d’eau et de sel. On peut s’approvisionner localement : à Bécours, on achète la farine à un moulin à vent proche, dans une filière blé avec les paysan⸱nes du territoire. On travaille à la main, sans machine. On fait un pain boulé ou moulé, mais pas de baguette car c’est pratique, mais très long à faire. En fait aujourd’hui, personne ne façonne des baguettes à la main : iels utilisent des machines. Nous on veut limiter l’usage des machines, donc on ne fait pas de baguettes.

C’est possible de faire beaucoup de pain comme ça ?

Dans le four de Bécours, on peut mettre 30kg de pain en une fournée. C’est possible d’enchaîner et de faire 500kg de pain en 24h, soit environ le pain pour 3500 personnes sur une journée. À Bécours, au max on a fait 300kg en une journée, pour le rassemblement éclé Midipyrate.

Il faut se dire que ce four, il est empruntable. Le but c’est qu’il puisse servir ailleurs, notamment dans le scoutisme, en formant des personnes progressivement. On peut se lancer facilement. Au pire, on fait du pas très bon pain, mais avec la cuisson à 250°C, y a à peu près zéro chance d’empoisonner des gens.

Ce four est relié à l’Internationale Boulangère Mobile, tu peux en parler ?

C’est un réseau lancé en 2017, le lendemain de la fête pour l’abandon de l’aéroport à Notre Dame des Landes. On était plusieurs collectifs de boulange présents sur la ZAD ce jour-là, et on a décidé de créer un réseau de solidarité et de soutien. Par exemple, aller ensemble produire des tonnes de pain pour un camp de lutte contre une mine de charbon en Allemagne. On se prête les fours et c’est aussi un espace de formation entre nous. Par exemple là, on monte une école auto-gérée pour aider des gens à passer le CAP de boulanger⸱e en candidat⸱e libre, en apprenant nos manières artisanales de faire du pain, et pas uniquement à savoir utiliser des machines.

Toutes les infos sur la boulange mobile, le réseau scout d’intervention boulangère, et l’emprunt du four : https://galilee.eedf.fr/wp/leclanpain/

La prochaine fois on aimerait interviewer… quelqu’un⸱e de l’association Intermedes Robinson

Propos recueillis par Maud