3 février 2023

Laïque, laïc, laïcité

Par allumefeu

Cet article vient d’un agacement régulier à voir emmêler le sens et l’orthographe des mots laïc, laïque, laïcité, ce qui contribue à la confusion sur cette thématique. Je pense que souvent cette mésutilisation n’est pas volontaire, que les personnes sont elles-mêmes pas très au clair; mais je crois aussi que parfois c’est tout à fait réfléchi, et que c’est une utilisation qui sert volontairement à embrouiller. Et bon, faut pas faire prendre des vessies pour des lanternes aux gens sur le sujet : si être (dans) un mouvement laïque vous semble désirable, arrêtez d’embrouiller les gens depuis des mouvements à pédagogie confessionnelle, et (de)venez dans un mouvement réellement laïque 🙂

Laïc ou laïque ?

Les deux orthographes ont- en général- un sens différent. Je dis en général parce que si on regarde dans les dictionnaires, on peut faire un peu comme on veut, ce qui n’aide pas à clarifier les choses. Pour autant, ces deux orthographes font généralement référence à deux choses différentes :

  • on utilise “laïc” par opposition à “clerc”, ou “religieux”: c’est-à-dire pour parler d’une personne qui, tout en étant croyante, n’a pas été ordonné·e ou consacré·e dans une fonction religieuse comme prêtre, moine, pasteur·e, rabbin·e, etc. Cette personne peut tout à fait avoir un rôle officiel dans l’église / la religion à laquelle elle appartient : par exemple, les « enfants de chœur”(dont le vrai nom semble être servant·es d’autel), les personnes qui animent le catéchisme (qu’on appelle apparemment les catéchistes), ou qui s’investissent dans les œuvres sociales de leur église (comme les diaconesses protestantes). Cette opposition entre les clercs et les laïcs1 est nette dans le christianisme ; Wikipedia nous dit qu’elle existe aussi dans le bouddhisme. Pourles autres religions, j’avoue mon ignorance. Laïc, c’est donc plutôt un nom (et pas un adjectif).
  • on utilise “laïque” plutôt comme un adjectif, principalement pour parler de quelque chose qui est nettement distinct, séparé, des religions; et par extension, ce qui relève de l’approche juridique de la laïcité en France. Par exemple, l’école laïque, ou…le scoutisme laïque.

On voit donc qu’il y a deux sens différents. L’un qui désigne une personne qui peut être croyante, et faire partie d’une église, mais ne fait pas partie de son clergé ; et l’autre qui désigne ce qui est séparé des différentes religions, n’a rien à voir avec elles, tout en garantissant aux personnes la possibilité d’être
ou non croyant·es.

Un exemple assez marquant de jeu sur la confusion entraînée par ces deux sens est
l’affirmation parles EDLN de proposer une « spiritualité laïque ». Cela n’est vrai que dans le premier sens (laïc, féminisé en laïque), et parce que les EDLN ne proposent d’introduction aux dogmes religieux bouddhistes qu’aux responsables et réservent aux jeunes « la pratique », notamment de la méditation de
pleine conscience (parce que « cette expérience est au cœur de l’enseignement du Bouddha » selon
leur projet spirituel). Mais ce n’est pas vrai dans le second sens de laïque, car les EDLN font bien le choix d’inscrire leur projet dans une approche religieuse particulière.

Un autre exemple, pas trop loin du scoutisme, se trouve au Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), qui appartient à l’Église catholique, et s’affirme volontairement « mouvement laïc » au lieu de « chrétien et laïc » à certains endroits. Il y a quelques années, les SGDF avaient eu des velléités de jouer sur cette nuance, par exemple en affirmant : « Nous sommes une association laïque et non pas cultuelle,
reconnue d’utilité publique et évidemment ouverte à tous » sur Twitter en 2015. Depuis 4/5 ans, le mouvement est cependant reparti dans une affirmation plus explicite de son identité catholique.

Laïcité et ouverture à tous·tes ?

On constate régulièrement une confusion entre le fait d’être un mouvement laïque, et le fait d’être un mouvement ouvert à tout le monde.

Tous les mouvements qui font partie de la Fédération du Scoutisme Français sont en principe ouverts à tout le monde, au sens où ils n’exigent pas de leurs adhérent·es de croire ou de se rattacher à une approche spirituelle particulière – c’est même une des conditions pour faire partie de la fédération2. De fait, il y a des athées chez les SGDF, des catholiques chez les EEDF, des musulman-es chez les EDLN,…
bref, vous avez compris l’idée.

Pour autant, la majorité de ces mouvements ont un lien avec une religion, et une pédagogie basée au moins pour partie sur une approche confessionnelle. Là encore, certains plus que d’autres.

Les SGDF ont par exemple des statuts canoniques3 qui les affirment comme « profondément missionnaires », c’est-à-dire qui visent à évangéliser les personnes, à leur faire rencontrer la foi chrétienne. La réalité pratiquée peut varier fortement au sein des groupes.

Les EEIF pratiquent ce qu’iels appellent le « minimum commun » en matière de pratique religieuse, à savoir « respecter les fêtes, Shabbat, faire un office par jour, manger cascher, respecter la
séparation entre le lait et la viande
». Pensé pour permettre la vie commune de personnes venant de différentes traditions juives, c’est un minimum en revanche important pour des personnes non juives.

À l’inverse, les EDLN ont un projet spirituel qui s’appuie principalement sur la méditation de pleine conscience et l’immersion dans la nature, et où la place des dogmes bouddhistes n’a généralement pas de place avec les jeunes.

Les mouvements qui ont un lien direct avec une religion, mettent en avant une foi, voire se donnent pour objectif de diffuser cette foi, ne sont pas laïques ; à l’opposé par exemple des EEDF ou de la FEE4.

La complexité vient de ce que ça ne signifie pas pour autant qu’ils ne respectent pas l’existence de la laïcité au sens juridique en France : celle-ci permet justement à des mouvements d’inscription confessionnelle d’exister, tant qu’ils sont bien séparés de l’État ! Ils vivent dans une république laïque, en respectent les principes, mais promeuvent et font vivre une approche religieuse particulière, et ne peuvent donc pas se dire laïques en tant que mouvements.

Maud

(1) ne me demandez pas comment on féminise ça sans rajouter à la confusion…
(2) D’après sa déclaration de principes, adoptée en 1999, le Scoutisme Français regroupe des « mouvements […] ouverts à tous sans discrimination de religion »
(3) « canonique » est un adjectif qui renvoie aux textes et règles officielles de l’Église catholique.
(4) Fédération des Éclaireuses et Éclaireurs : mouvement laïque hors Scoutisme Français, né en 1989 d’une scission avec les EEDF