Ethylo-blues

Témoignage sur l’alcool en camp

J’ai un penchant pour l’alcool. J’aime boire. Je suis toujours là pour un verre. Après chaque réunion scoute on va prendre un verre. Ou deux. Le camp arrive. On remplit le dossier de camp autour d’une bière : « oui, oui, pas d’alcool pendant le camp ». On est tous d’accord. Pas la moindre hésitation sur cette question. On est tous d’accord. Une exception, on ajoute « alcool pour cuisiner ». Pré-camp : un des chefs a acheté du vin local, goûtons donc le terroir, les jeunes n’arrivent qu’après demain. Trois bouteilles sont achetées pour cuisiner, « du vin blanc pour faire revenir les oignions, c’est pas mauvais ». On est tous d’accord. Au cinquième, une de ces bouteilles se retrouve sur la table. Je dirige le camp, je dis c’est seulement pour la cuisine ; tout va bien « c’était pour rigoler ». On s’entend très bien en maîtrise, on rigole, on se voit souvent, on est potes, on est taquins. On dîne au restau pendant l’explo, on boit pendant le repas. Je conduis, je ne bois pas. Ça ne me dérange pas que le reste de la maîtrise prenne quelques verres. Je m’en amuse un peu, on est hors du camp, dans un hors temps sans jeunes. Dernières courses, l’intendant revient avec deux bouteilles de « blanc du terroir ». Je ne me pose pas vraiment de questions. On prépare la dernière veillée. J’apprends que les bouteilles sont là pour faire la fameuse et traditionnelle sangria de fin de camp. On n’est pas d’accord. Je ne suis pas d’accord. On décide tout en maîtrise, il n’y a que moi qui m’oppose à cette tradition. Je dirige le camp, je peux m’imposer. Je n’y parviens pas. L’empressement et la mise en œuvre de ce projet me surprennent. Je ne parviens pas à l’interdire. On fait la sangria de fin de camp. Mes jeunes sont initiés à l’alcool par leurs chefs. Je ne suis pas d’accord. « Ce n’est qu’un verre, c’est chauffé », mais pour plusieurs c’est une première fois. On boit une sangria avec nos jeunes sous ma responsabilité. Je ne suis pas d’accord. Je finis mon verre. Goût amer. Je rentre chez moi. Je ne comprends pas. On baigne dans l’alcool au quotidien. On boit trop et trop souvent. On le sait et on s’en amuse ironiquement. On réfléchit à notre consommation. On discute les préjugés. On revient sur nos erreurs. On se livre à l’introspection. On remet en question les traditions. On veut le meilleur pour nos jeunes. On pense à leur autonomie. On réfléchit à leurs interactions. On élabore avec eux des projets judicieux. On suit les lignes directrices d’une pédagogie. On a la confiance de leurs parents et de l’association. Et pourtant on les fait boire. Et pourtant je les ai fait boire.

Richard