16 mars 2021

La Conversion écologique chez les SGDF

Par allumefeu

La méthode des petits pas en mode Colibri


La racine du mal

Avec la création des Scouts et Guides de France est acté le projet éducatif : son introduction et ses 4 chapitres. Dans le dernier chapitre “Habiter Autrement La Planète”, plus connu sous sa contraction HALP, est écrit le passage suivant :

“En toute indépendance politique, nous choisissons pour la planète un meilleur équilibre : que la croissance économique, le progrès social et le devoir écologique se vivent désormais en harmonie et non en opposition, que la solidarité l’emporte sur l’individualisme, la générosité sur le repli sur soi, le long terme sur l’immédiat, la sobriété sur la consommation effrénée.”

Nous sommes en 2006, déjà dans la logique de croissance écologique et de développement durable qui apparaissait à l’époque ; le chapitre en soi est plus porté sur l’humain et la conduite de l’individu que sur une ambition écologique forte. Ce chapitre révèle à lui seul une problématique forte, celle qui porte l’idée d’une alliance possible entre une croissance économique et un devoir écologique.

La croissance économique dans un monde capitaliste c’est une croissance basée sur une compétition entre les entreprises sur un marché au niveau national et international. Dans une compétition, tout est permis, y compris tricher, surtout sur les règles environnementales. La croissance économique implique une consommation perpétuelle, de biens et de services toujours plus rapidement obsolètes. De plus l’économie capitaliste crée des inégalités, les renforce et impose un combat de classes dont les dominants imposent et changent les règles. La croissance capitaliste n’est pas compatible avec le progrès social et le devoir écologique, y croire est un aveuglement.

Depuis les SGDF sont soumis à cette contradiction et votent régulièrement des résolutions en lien avec cette thématique ; dans leur plan d’orientation de 2008, l’orientation numéro 5 : “Une communauté au cœur de la nature” porte une volonté écologique forte à différents niveaux : la formation, les activités, les partenaires, les bases, avoir des référents et être exemplaire en AG (appliquée en 2019 sur les gourdes). 2009 marque la réalisation d’un bilan carbone et des Assises « Habiter Autrement La Planète » avec le Scoutisme Français puis une résolution « Habiter Autrement la Planète » qui vise à améliorer ce bilan carbone. Quelques années de vide avant une relance de cette thématique avec la préparation de la COP21, en 2014 l’AG vote la participation à l’événement. À partir de là, cela s’accélère et on peut penser que l’impact de François Mandil, Responsable Communication et Relations extérieures et proche d’EELV n’est pas négligeable.

Cohérence et Conversion

En 2015 est voté un nouveau plan d’orientation puis en 2016, poussée par la base, la résolution Cohérence acte la création d’une commission. L’année suivante, le rapport tombe avec 4 chapitres (Sobriété, Solidarité, Environnement et Éducation) et 23 propositions, plan d’action à court, moyen et long terme ; malheureusement peu seront mises en application, essentiellement la Politique d’Achats avec une charte et l’on s’approvisionne en foulards en France (orientation vers le local).

En 2018, une nouvelle résolution, toujours issue de la base, apparaît et se focalise sur l’alimentation : “Dans ma gamelle” invite à changer les habitudes d’approvisionnement de la nourriture. Il est à noter qu’il y a eu une véritable révolution culturelle (encore en cours) sur ce sujet, quand on regarde les pratiques des dernières années où le budget alloué à l’intendance était le premier budget rogné dans un camp en achetant essentiellement des marques discount.

Coup de tonnerre en 2019, les marches pour le climat inondent les rues des villes du monde entier, l’association publie un communiqué de presse de soutien aux marches et soutient des mobilisations non-violentes. C’est un acte politique fort, le premier.

Dans la foulée les jeunes et adultes mobilisé·e·s pour les marches s’organisent sur Discord et créent une pétition soutenue par plusieurs territoires. Cette pétition “HALP 2.0” se décline en 6 chapitres et 27 propositions radicales, invitant l’association à changer très rapidement de direction. Les jeunes sont invité·e·s par le Conseil d’administration qui bride rapidement les positions militantes de la pétition. Plus tard, en Assemblée générale, on vote pour une conversion écologique qui ouvre un débat cadré : pas de dimension politique, pas de position militante, le choix est porté sur une dimension associative avec une démarche participative et “réaliste” en s’appuyant sur un nouveau bilan carbone plus exhaustif.

En 2020 une résolution intitulée “Tout est lié” est votée, elle implique une réduction du bilan carbone de 21.5% et propose une liste d’activités écologiques. Les échanges et débats (numériques) sont riches avec des interrogations sur l’influence du végétarisme/véganisme ainsi que du locavorisme. Des débats dont l’administrateur et la présidente rappellent le cadre : éducatif, la question du plaidoyer d’influence (lobbying) est hors cadre, on lui préférera un plaidoyer par le fait (propagande par le fait), cela fait longtemps que les anarchistes ont fait le constat que ce plaidoyer seul ne suffit pas. Un autre débat est aussi vite recadré, celui de la pédagogie compagnons avec les voyages en avion : “On n’arrive jamais à rien avec la radicalité” ,“L’objet social de l’association n’est pas de se convertir, […] il est d’éduquer à la paix et cela passe aussi par les projets à l’international”. On parle de contrepartie écologique (exemple : compensation carbone), dispositif né dans les années 80 qui n’a jamais été efficace, décrié à la fois par un rapport des Amis de la Terre et par l’Oko-Institut, un institut allemand de recherche sur l’environnement.

Des intervenants pourtant radicaux mais des influences idéologiques néfastes

En 2017 en pleine assemblée générale, durant la veillée (festive), intervient un invité avec un discours radical, Xavier de Rostolan, lanceur des Fermes d’avenir. En 4 min, il rappelle la désintégration en cours des animaux sauvages (40% en moins en 40 ans), invite à se mettre face à cette réalité et à repenser l’agriculture (c’est son rayon). Il porte la “révolution” au sein de l’agriculture avec un autre modèle, inspiré de la permaculture et du biomimétisme, et invite à faire du lobbying citoyen (d’influence). Une intervention plus longue (49 min) explique plus en profondeur sa pensée lors de son invitation à Yalla, rassemblement des 17-21 ans.

En 2019 c’est Gaël Giraud, économiste renommé et prêtre, qui prend le micro pendant 18 minutes le dimanche matin en assemblée générale. Discours choc, rappelant les réalités en cours (augmentation du taux de CO2 et arrivée de la malaria en Italie), qui insiste sur le fait que les gestes individuels (sobriété heureuse) sont très bien mais totalement insuffisants (impact maximum à 20-30% du nécessaire). Dans les échanges avec les jeunes et les chef·taine·s il insiste sur le fait de coopérer tou·te·s ensemble (inter-générations) et de trouver les allié·e·s pour pouvoir mener la transition jusqu’au bout.

Le concept de sobriété heureuse, présent dans l’orientation 3 du plan d’orientation de l’association, est dans l’attirail idéologique de Pierre Rabhi qui a également développé la théorie du Colibri, de celui qui “fait sa part”. Cette idéologie est souvent reprise par plusieurs membres de l’association, présidente et responsables, et a été déconstruite dans un article du Monde Diplomatique. Le problème avec cette idéologie c’est qu’elle est tout à fait compatible avec le capitalisme, l’économie de marché concurrentiel et compétitif. Elle concentre la volonté d’action sur l’individu et non sur le collectif. Elle met d’ailleurs les individus en compétition entre eux, qui seront “HALP” et “pas HALP”, alors que ces individus pourraient se rassembler en collectif pour créer des contre-pouvoirs (comme les marches pour le climat, les actions militantes à l’externe ou les pétitions en interne). En se concentrant d’abord sur l’individu, elle concentre ses forces de changement d’abord contre lui-même, le culpabilisant et créant de la violence contre lui-même et ses proches alors que, pendant ce temps, les collectifs dominants continuent leur “business as usual” empirant chaque seconde l’état catastrophique de la planète.

La visite au vieux “sage”

Fin 2019, a été publiée sur la chaîne YouTube des Scouts et Guides de France une vidéo d’une heure, montrant une rencontre entre François Mandil et Louis Espinassous. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas ce vieux “sage”, c’est un conteur, berger, ethnologue et éducateur spécialisé dans la Nature et ancien éclaireur. Il explique le développement concomitant entre 3 intelligences : émotionnelle, sensorimotrice et cognitive, présentes dans la nature qui est un milieu complexe par excellence. Très critique envers le système scolaire actuel (trop intellectuel et pas assez actif), il raconte une alternative possible et intéressante autour d’un mot (verbe) d’or : FAIRE.

Intéressante jusqu’au point où il se désintéresse de l’avenir de la planète (“On sait pas de quoi demain sera fait […] ce n’est pas mon métier”), marquant un déni total des enjeux d’aujourd’hui et de demain, et jusqu’au point où il marque une barrière de responsabilité sur l’âge de 18 ans avant lequel le·a jeune ne doit pas être mêlé·e aux problèmes de la communauté.

Ainsi les mobilisations des jeunes vis à vis du climat ne doivent pas être promues (ni empêchées, si elles sont là, elles sont là), la priorité est d’amener les enfants dans la nature, pas autre chose. Le travail des éducateur·ice·s est autour de l’enthousiasme et la joie de vivre (injonction de positivité). Il met en garde contre les adultes qui tirent parti des manifestations : “Toi et moi on est les meilleurs, on manifeste et les autres c’est les méchants”, une classification en deux pôles que l’on peut retrouver lors de réalisations de clean-walk, ces marches de ramassage de déchets qui peuvent induire une vision séparant les bon·ne·s citoyens écolos qui ramassent et les mauvai·se·s qui polluent. Une éducation intéressante mais parcellaire car entre autres dépolitisée.

Changer le projet éducatif pour impulser une nouvelle dynamique

Dans les échanges avec les internautes lors de l’assemblée générale 2020 en numérique, une question a émergé, celle de changer le chapitre 4 HALP. La présidente a été claire : “Le projet éducatif c’est vraiment ce qui fonde notre mouvement depuis 2004, (…) On pense qu’il est encore profondément d’actualité, est-ce qu’il y a des points qui peuvent, qui pourraient être approfondis, réécrits ? Sans doute mais le temps que l’on passerait et l’énergie que l’on mettrait à refondre un projet éducatif c’est un travail énorme parce que c’est la colonne vertébrale de notre association”, puis elle laisse une ouverture sur le prochain plan d’orientation de 2022, encore un texte, encore des débats alors que l’urgence nous appelle collectivement à l’action.

Ainsi on peut constater que la prise en compte de l’écologie monte progressivement dans l’association même si elle reste très loin des enjeux de la situation. Les impacts du changement climatique commencent à se ressentir sur les activités (canicule durant les camps et les jamborees), les voix montent de plus en plus (toutes les récentes résolutions viennent de la base) et des questions se posent de plus en plus (débats, évaluation des impacts). Le tabou de l’action militante n’est pas encore levé alors qu’on constate en regardant dans le passé que les manifestations non-violentes peuvent être les plus efficientes.


Mama