Organisez votre journée en autogestion !
Les activités en autonomies ayant été interdites pour l’été, il est apparu important pour notre maîtrise de proposer d’autres temps forts pendant le camp leur permettant cet espace de liberté que constitue l’explo d’ordinaire. Peu emballés par la proposition de certains responsables du mouvement qui proposaient de substituer l’explo par une randonnée où “les jeunes pourront tenir la carte, puisque c’est ça ce qu’ils et elles aiment dans ces moments !”, mes co-chef-fes et moi-même entreprirent de développer cette idée qui nous titillait depuis un moment : une journée en autogestion. Au retour de camp, lors d’échange avec d’autres chefs et cheftaines, nous découvrîmes que d’autres unités avaient elles aussi tenté l’expérience…
Cet article se propose d’être la synthèse de nos expériences, sous forme d’une “fiche technique” pour organiser une journée en autogestion. Étant engagé chez les SGDF, j’emploierai par facilité le vocabulaire du mouvement. Vous ne trouverez pas non plus de sources universitaires ou académiques, puisqu’il s’agit simplement d’un condensé de mes réflexions, étayées de témoignages et questionnements des autres chefs et cheftaines ayant animé une expérience similaire.
Fiche technique
Objectifs de la journée
Même si la pédagogie par objectif est critiquable, il me semble important de savoir pourquoi on met en place un tel projet. Voici les axes que la journée en autogestion me semble développer avec les jeunes :
- découverte de modes de discussion et de prise de décisions en groupe
- construction d’un projet collectif
- déconstruction du rôle de chef comme indispensable d’un point de vue organisationnel
- remise en question des pratiques ordinaires
- donner du sens aux différents temps de la journée
Cette journée en autogestion s’ancre, plus globalement, dans l’idée que le scoutisme est un lieu privilégié pour donner à expérimenter aux jeunes d’autres façons de fonctionner, de faire, de vivre, le tout en collectivité et en étant heureux-se. La journée en autogestion se veut donc un pas de plus dans cette optique, une nouvelle image que le scoutisme, comme kaléidoscope, donne à voir aux jeunes, en changeant de peu les paramètres de base de la vie d’un camp.
Avant la journée
Avant même de préparer la journée, il me semble important de se poser quelques questions :
- Pourquoi faire une journée en autogestion ? Avant d’organiser la journée, il est important que celles et ceux qui la préparent sachent ce qu’ils en attendent, pourquoi ce projet a lieu, et si les jeunes sont intéressé-es pour le vivre.
- Quand faire la journée en autogestion ? Si la journée a lieu lors d’un camp, la faire plutôt à la fin de celui-ci permet aux jeunes de bien se connaître, d’avoir pris leurs marques. Cela permet également d’en parler avant, et ce faisant de donner la possibilité aux jeunes de s’intéresser au fonctionnement du camp jusque là pour en saisir le sens.
- Quelques garde-fous (discutables, négociables et adaptables) :
- Pour déconstruire le rapport d’autorité chef-fes/jeunes, pour passer du temps avec les jeunes, pour profiter d’une journée qui nous fasse plaisir, pour garder un oeil sur la sécurité physique des jeunes, pour s’assurer que les impératifs légaux sont respectés, il me semble pertinent que les chef-fes se constituent comme une équipe supplémentaire, qui est alors au même niveau que toutes les autres. Elle n’a ni plus ni moins de droits et de devoirs de s’impliquer dans la préparation, la construction et le bon déroulement de la journée.
- Pour permettre d’expérimenter l’autogestion en groupe, et non pas une journée où chacun-e vit ce qu’iel veut quand iel veut, il me semble également pertinent d’imposer un projet collectif dans la journée, en groupe complet. Sa forme est très libre (cuisiner un repas, préparer et vivre un jeu, écrire une chanson, …), mais il faut que tous les jeunes construisent et vivent au moins un temps où tout le monde soit présent et impliqué.
- Comment préparer la journée en autogestion ? Il est primordial que la journée soit construite par les jeunes. De fait, plusieurs questions apparaissent :
- Quelles sont les contraintes ? Il s’agit ici de définir pour vous et pour les jeunes ce qui ne sera pas négociable, et qui constituera le cadre le plus large de la journée en autogestion (ce qui définit en creux tout ce qui peut être remis en question), tout en expliquant pourquoi ces limites se situent à ce niveau. Pensez notamment à définir le cadre temporel de la journée.
- Par exemple, cet été, nous avions fait le choix de nous adosser aux contraintes légales (on reste dans les clous de la loi), et d’imposer 8h de sommeil (nécessaire en moyenne aux jeunes de 11 à 14 ans), ainsi qu’une douche (on n’en prendra pas le surlendemain avec les désinstas, et il ne faut pas salir le bus qu’on prendra) et un service “nettoyage des toilettes” (c’est au tour de notre unité, nous sommes dans un camp groupé avec toilettes en dur). La journée en autogestion commence au lever des jeunes et finit à l’extinction des feux.
- Comment construire la journée ? En groupe complet ? Avec des délégués ? Avec des temps de réflexions individuels et une mise en commun ?
- Comment prendre des décisions ? Pour ce faire, peut-être faut-il prendre le temps au préalable de les initier aux discussions en grands groupes, à la médiation, aux différentes techniques de prise de décisions collectives (vote à majorité, deux tiers, consensus, etc.).
- Comment impliquer les jeunes au maximum dans la préparation ? Vous pouvez initier les jeunes avant la préparation de la journée aux différents rôles à tenir lors d’une telle réunion de préparation pour que ce soient elleux qui tiennent les rôles de médiateurices, ou de secrétaire de séance.
- Quelles sont les contraintes ? Il s’agit ici de définir pour vous et pour les jeunes ce qui ne sera pas négociable, et qui constituera le cadre le plus large de la journée en autogestion (ce qui définit en creux tout ce qui peut être remis en question), tout en expliquant pourquoi ces limites se situent à ce niveau. Pensez notamment à définir le cadre temporel de la journée.
Pendant la journée
- Profitez du temps avec les jeunes ! Cette journée peut avoir un rythme plus “cool” que le reste du camp, offrant une respiration à la fois aux jeunes et aux chefs. Ce peut aussi être l’occasion d’écouter de la musique, de créer des décorations, …
- Soyez vous-mêmes ! L’enjeu est aussi de savoir lâcher prise sur tous les points de vigilance relatifs au planning, à l’organisation qui peuvent être en “tâche de fond” dans l’esprit de chef-fes. Cela n’empêche toutefois pas de veiller aux respect des impératifs légaux, aux contraintes déterminées préalablement, ou à la sécurité physique et affective des jeunes. Cela n’empêche pas non plus que vous proposiez des idées, des actions, mais gardez à l’esprit que votre parole n’a pas le même impact que celle d’un-e autre jeune.
Après la journée
La journée terminée, il me semble important de prendre le temps de la relire. Pour cela, je n’ai pas de méthode particulière à proposer, mais prenez simplement le temps d‘échanger en groupe complet sur le vécu de cette journée, les points forts, et les éventuels points à améliorer. Ce temps de relecture est aussi intéressant à faire entre chef-fes, notamment pour questionner vos postures respectives et les techniques mises en place pour animer la préparation.
Pour conclure
Cette journée se propose d’être un nouveau pas dans l’idée de faire du scoutisme un lieu d’expérimentation et de démonstration d’autres manières de vivre et s’organiser, tout en étant heureux. La journée en autogestion est un projet collectif qui se propose de donner à voir aux jeunes le pouvoir qu’iels ont pour faire du monde ce qu’iels veulent, en se donnant la liberté de remettre en question toutes les pratiques connues jusque là.
En tant que chef-fe, la journée en autogestion permet de se requestionner sur son rôle, ses pratiques, mais aussi sur sa posture, et sa conception du scoutisme. En effet, il ne sera pas rare de se voir confronter à des situations où certain-es peuvent voir la pédagogie par l’erreur arriver à ses limites, et où le rapport à un cadre nécessaire pour les jeunes est questionné. Même si l’on ne souhaite aux jeunes que de grandir en autonomie, iels restent des jeunes qui ne peuvent simplement pas avoir en vue tout ce qu’un-e chef-fe a en permanence à l’esprit
Enfin, cette journée permet aux chef-fes de se demander : qu’est-ce que je souhaite apporter aux jeunes ? Sont-iels d’accord pour le recevoir ? Comment puis-je l’apporter tout en prenant en compte les envies et capacités des jeunes ? Autant de pistes de réflexion pour de futurs articles !
Bapeutisteu