8 février 2021

Un projet péda sans objectifs ?

Par allumefeu

Vous avez déjà écrit un projet péda ? Si oui, vous avez sûrement déjà galéré comme moi à remplir tout un tas d’objectifs “parce qu’il faut le faire”. Mais sommes-nous vraiment obligé.e.s de le faire ?

Pour commencer, notons que l’idée d’une pédagogie remplie d’objectifs est assez récente. Si les trente glorieuses marquent l’essor des colonies de vacances en France, l’idée d’objectif pédagogique n’arrive pas dans les accueils de mineurs avant les années 70 voir 80. On a donc pu faire de l’animation, de l’éducation populaire, et bien sûr du scoutisme pendant un petit moment avant ça. On présente pourtant les objectifs pédagogiques (et leurs petits copains, les objectifs secondaires et opérationnels) comme des incontournables indispensables immanquables dans la plupart des formations, avec même des petits acronymes pour mieux se rappeler la prétendue bonne manière de les formuler ! On a pu lire dans le n°1 du journal un petit article bien sympa sur l’exorcisme du MALIN (https://allume-feu.tila.im/index.php/2020/10/04/conjurer-le-malin/), cet acronyme qui « veut des cases à cocher, un rendu immédiat : il faut que l’impact de l’activité sur le jeune puisse être mesuré, qu’on puisse vérifier l’acquisition d’un savoir quantifiable ». C’est exactement la même critique que nous avons formulée à l’égard des objectifs pédagogiques.

Un grand merci à Flo de Floraison (https://www.facebook.com/FloDeFloraison) pour son autorisation de réutiliser son dessin.

À vrai dire, existe-t-il un objectif, quelle que soit sa formulation, qui ne porte pas avec lui une volonté d’évaluation ? Poser un objectif sans rien en faire derrière est une démarche un peu absurde… Là est le point de départ de la pédagogie sans objectifs : en émettant un objectif pédagogique, on cherche à évaluer la réussite de l’enfant ou du groupe, ou son échec. Si j’arrive à comprendre l’utilité de l’évaluation à l’école (bien qu’on pourrait en parler des heures…), qu’en est-il dans le scoutisme ou l’animation ? On pourrait alors dire que tel enfant a mieux réussi à jouer et s’amuser qu’un autre ? Difficile d’accorder l’exigence de réussite d’un objectif que l’on se fixe avec la réalité malléable d’un groupe. Difficile de concilier l’insouciance des vacances avec la froideur d’un objectif opérationnel.

Mais alors on fait quoi ? Dans notre cas, pour éviter de complètement repartir à zéro sur notre manière de fonctionner, on a commencé par une formulation du projet péda différente, mais qui porte en elle une grosse différence de point de vue. Plutôt que d’évaluer un groupe d’enfants sur sa capacité à « refuser les préjugés et adopter une attitude permettant le vivre-ensemble » (on l’a tou.te.s déjà faite celle-là, avouez), posons des objectifs sur notre travail, sur notre manière d’animer. Le projet péda devient alors un outil d’auto-évaluation pour l’équipe, plutôt qu’une liste de « qu’est-ce qu’on va faire faire aux enfants ».

Si cette reformulation des objectifs péda en objectifs portés sur l’équipe n’est qu’une petite étape, il est possible d’aller bien plus loin, l’idée principale étant de laisser l’initiative aux jeunes, sans rien présupposer sur sa personne. Une formule sympathique parlait de sortir de l’enfant acteur pour essayer de trouver l’enfant auteur, et résume à mon avis un peu toute la philosophie de ce type de pédagogie. Bien sûr que nous avons un quelque chose en plus à apporter, quelque chose de plus que des activités en pagaille et des ateliers libres en surabondance : une vision du monde différente du cadre scolaire ou familial, qui prend tout son sens dans le scoutisme, là où l’on fait tout pour casser ces cadres quotidiens. Mais la question vient, comment peut-on prétendre construire une relation avec des jeunes, si avant même de les avoir rencontré ou d’avoir appris à les connaître, on sait déjà « ce qu’on va leur faire faire », avec une liste détaillée d’objectifs ?

Pour conclure sur une autre formule sympa (pas de moi mais de Laurent Ott) :

« L’engagement lui même, le militantisme ne valent rien s’ils ne sont pas capables de se muer en simple intérêt pour une seule personne à qui je m’adresse. »

Laurent Ott

En pratique

Sur le camp de Mayo, avec des 6-8 ans (branche lutine des EEDF), l’équipe a finalement fait le choix d’écrire les objectifs suivants, pour décliner leur but général « réussir à proposer un environnement favorable à l’accomplissement de l’individu et du groupe » :

  • Créer un environnement qui garantisse la sécurité morale et affective de tou.te.s les participant.e.s au camp : le lieu de vie sera propre et confortable ; les conseils sont des temps de parole et de décision, on en pratiquera 3 formes avec des fonctions différentes ; les règles seront établies par le groupe, et modifiables pendant tout le séjour ; on utilisera la communication non violente
  • Proposer un espace dans lequel les lutin.e.s pourront réaliser leurs projets/envies : les enfants auront le choix de participer ou non aux activités, mais avec la nécessité d’en discuter avec les respos ; chaque matin, les temps atelier seront là pour vivre des ateliers préparés par quelqu’un.e du groupe, ou préparer un atelier à proposer aux autres les jours suivants ; les respos accompagneront les projets spontanés

Mayo

Pour aller plus loin : https://web.archive.org/web/20191002192001/https://www.colonie-evasoleil.com/semanciper-de-la-pedagogie-par-objectifs/