Un jamboree ? Pourquoi faire ?
Cet été, pour la 4ème fois de ma petite vie scoute, j’ai participé à un Jamboree. Vous savez, ces événements nationaux ou internationaux qui rassemblent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes pour une durée généralement express de quelques jours, mobilisant énergies, moyens, financements, pour faire vivre aux jeunes un moment exceptionnel et inoubliable. Enfin, en théorie.
Après avoir vécu trois Jamborees en tant que SGDF (Scouts & Guides de France) dont 2 comme que jeune (You’re Up*,15 000 personnes et Roverway*, 5 000) et un comme bénévole (Connecte*, 25 000), j’étais cette année dans le copil-entendez Comité de Pilotage- d’Inspir’Action* : le premier Jamboree des EDLN (Eclaireuses·Eclaireurs de la Nature), qui a réuni précisément 1 212 personnes ,toutes tranches d’âge réunies. Un chiffre qui, par rapport à ceux cités précédemment, peut sembler dérisoire. Les SGDF présent·es (et nombreux·ses) sur le camp n’ont pas manqué de nous charrier gentiment à coup de « oui, bon, c’est un petit week-end territorial quoi ! » ou « ah ouais, on était plus à notre AG ! ».J’avoue que moi même, lorsque j’ai accepté la mission, je me suis dit « ça va, pas de pression ».
Toujours plus ?
Pas de pression peut-être, mais la joie de donner autant d’importance à un rassemblement jugé “petit” par d’autres. Et surtout, des interrogations qui découlaient déjà de mes expériences précédentes. D’où vient cette course à faire toujours plus gros, toujours plus grand, toujours plus impressionnant ? Il y a certes un constat indéniable : les SGDF ont 100 fois plus d’adhérent·es que les EDLN, et existent depuis 85 ans de plus. Alors, lorsqu’on veut rassembler, les chiffres montent forcément plus vite dans une asso que dans l’autre. Mais inutile de comparer ces deux assos à l’histoire et au parcours différent. Là n’est pas le point.
J’ai eu des vécus différents de tous mes Jambos, et il est vrai que chacun est inoubliable. You’re Up m’a marqué, comme vous si vous y étiez, par la tornade et les nuits au Zénith, mais aussi pour les veillées à 15 000 qui faisaient tourner la tête. Le Roverway reste un de mes meilleurs souvenirs scouts, pour les rencontres faites lors de la première semaine en camp de 50 personnes, et pour le bar gay installé à Jambville. Enfin, Connecte m’a traumatisé (disons-le) pour plein de raisons qui pourraient faire un article entier (le thème ? l’utilisation de tablettes numériques ? la gestion de la canicule ?). Mais il m’a surtout posé cette question : qu’est-ce que ça apporte aux jeunes d’être 25 000 à Jambville sous la canicule qui ne permet même plus de profiter des activités proposées ? Et qu’est-ce que ça nous apporte à nous, adultes ? Qu’est-ce qui nous fait nous dire “là, je fais vraiment vivre le scoutisme aux jeunes”? Mais aussi, est-ce que c’est réellement en accord avec les enjeux sociaux et environnementaux actuels ? Et avec les enjeux pédagogiques du mouvement ?
Ne jouons pas la carte de la naïveté, un rassemblement de 25 000 personnes ne peut pas être éco-responsable. Nous ne pouvons pas atteindre nos objectifs pédagogiques lorsque nous sommes confronté·es aux aléas climatiques. Nous ne pouvons pas gérer de la même façon une canicule ou une tornade pour 25 et 25 000 personnes. Nous ne pouvons pas nourrir décemment plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant 5 jours dans un champ ou une forêt. Nous ne pouvons pas faire vivre le scoutisme quand des problèmes logistiques se mettent sur notre chemin et prennent le pas sur la pédagogie. Nous ne pouvons pas éviter les frustrations des jeunes qui ratent, pour une raison X ou Y, un moment de cet évènement historique. Nous ne pouvons que difficilement faire vivre de vraies rencontres à des jeunes noyé·es dans une marée humaine.
Alors finalement, est-ce que ça en vaut la peine ?
La peine, carrément ?
À ces critiques et questionnements, je peux désormais ajouter l’expérience de celleux qui portent le Jamboree pendant des mois, voire des années avant qu’il prenne vie. Qui prévoient tout au moindre millimètre, à la moindre minute, pour que tout se passe bien, pour tout le monde. Celleux qui ne dorment pas ou peu, qui pendant le rassemblement prennent plusieurs heures par jour pour se réunir et vérifier que tout va bien, qui doivent gérer en 5 jours des situations qui habituellement sont réparties sur tout un été, qui doivent s’assurer que les jeunes comme les adultes mangent à leur faim, qui préparent le terrain avant l’arrivée des enfants et le nettoient à leur départ, qui installent la scène pour les fameuses cérémonies inoubliables, qui accueillent les divers·es intervenant·es, qui s’assurent que le rassemblement rayonne auprès des autres mouvements et, peut-être, fasse grandir l’association, forte de cette expérience réussie.
Je ne briserais pas l’intimité du Copil, mais je dois avouer avoir eu le ventre noué quand j’entendais certain·es exprimer leur fatigue, leur frustration, leur agacement, leurs doutes, leur envie qu’enfin, ce soit fini, que l’on puisse souffler. Bien sûr, il y a aussi et surtout beaucoup de joie, d’excitation, de fierté, d’entraide, d’épanouissement qui nous font nous dire que c’est important qu’on soit là. Mais moi, j’étais souvent de celleux qui avaient du mal à surmonter la frustration, qui avaient l’impression que le rassemblement leur filait sous les yeux sans pouvoir le saisir.
Est-ce que le bonheur des jeunes ressenti pendant 4 jours nous suffit à surmonter cela ?
Car je ne doute pas du bonheur des enfants présent·es à Inspir’Action, et j’avoue avoir pleuré en voyant leurs sourires et les étoiles dans leurs yeux à la cérémonie d’ouverture. Pleuré de les voir si heureux·ses, et de me revoir moi 7 ans plus tôt dans la même émotion.
Si un rassemblement de 1212 personnes a déjà ses contraintes et ses peines, et que les étoiles dans les yeux des enfants sont aussi grandes que s’iels étaient 12 120, pourquoi chercher à être toujours plus ? Qu’est-ce que cela raconte de l’image que l’on souhaite donner de son association ? Que cherchons nous à prouver, et à qui? Que cherchons nous à offrir réellement aux jeunes ? Que souhaitons nous leur raconter du monde qui nous entoure et de celui qui vient ?
Mon expérience personnelle me fait dire que mes meilleurs souvenirs scouts ne sont pas devant un podium ni au service d’une foule immense. Ils sont dans des moments plus intimes, des moments de rencontres et d’échange. Je ne cherche pas à faire de mon expérience une généralité. Je ne cherche pas non plus à comparer différents Jamboree qui n’ont ni les mêmes contextes ni les mêmes enjeux. Mais ces questionnements sont là, et il me semble important de les partager, pour nous amener à réfléchir, quelle que soit la couleur de notre foulard ou chemise, au sens et à la pertinence de ces grands rassemblements.
Zolph
* You’re Up : Jamboree SGDF 14-17 ans ayant rassemblé 15 000 personnes à Strasbourg en 2015
Roverway : Jamboree européen pour les 16-22 ans ayant rassemblé, en 2016, 5 000 personnes en France en 2 temps : une semaine en groupes de 50 jeunes réparti·es dans 100 lieux, suivie d’une semaine à Jambville
Connecte : Jamboree SGDF 11-14 ans ayant rassemblé 25 000 personnes à Jambville en 2019
Inspir’Action : Jamboree EDLN toutes tranches d’âge (6 à 20 ans) ayant rassemblé 1 212 personnes au Domaine de la Planche (Auvergne) en 2022.
C’est une intéressante réflexion sur ce sujet. Ayant participé en 1957 (oui, je ne suis plus tout jeune !) au Jubilee Jamboree en Angleterre avec 35.000 scouts, j’ai aujourd’hui accepté de tenter d’en faire une « étude » historique, en m’intéressant plus particulièrement à la présence belge. Dans votre article, vous écrivez – brièvement – « j’étais souvent de celleux qui avaient du mal à surmonter la frustration, qui avaient l’impression que le rassemblement leur filait entre les doigts sans pouvoir le saisir. » Lorsque je tente d’évaluer aujourd’hui ce que j’ai retenu de cette activité, je reste perplexe. Cet immense effort des organisateurs, et parfois des participants, nous a-t-il apporté quelque chose de plus que ces échanges de badges et autres bricoles ? Avons-nous réellement apporté « au monde », un exemple de fraternité comme le pensait le fondateur du scoutisme ? Qu’en pensez-vous ?