27 janvier 2023

Bienveillance, boyau de cerf cosmique, et autres problématiques

Par allumefeu

Beaucoup de bonnes choses pourraient être dites sur les Éclaireuses et Éclaireurs de la Nature (EDLN). Beaucoup de bonnes choses pourraient d’ailleurs être dites d’une bonne partie des mouvements de scoutisme en France. Un diaporama d’images et de sensations uniques me viennent facilement en tête lorsque je me remémore mes années scoutes : le feu, la terre, la pluie, la guitare, les amis, les étoiles. Je n’ai pas rêvé ni idéalisé ces moments, ils étaient beaux, simples et je remercie toutes les personnes qui font vivre le scoutisme pour cela. Mais ce n’est pas du feu ni des étoiles dont je veux parler ici, mais de problématiques importantes qui sont présentes dans bien des associations de scoutisme, mais qui trouvent leur paroxysme chez les EDLN.

Rappel des faits

Les EDLN proposent une éducation spirituelle à la non-violence et à la bonté. Au travers de temps spirituels quotidiens, adultes et enfants sont invité·es à entrer en contact avec eux et elles-mêmes (émotions, sensations physiques), avec les autres (développement de l’empathie) et avec le monde (bruits, odeurs, contemplation de la nature). Très largement inspiré de la tradition bouddhiste, il s’agit principalement de calmer les pensées – considérées comme responsables de la souffrance– en fixant notre attention sur autre chose et ainsi s’approcher d’un état de réceptivité, de calme et de compassion qui, selon la théorie bouddhiste, compose l’expérience « naturelle » de l’esprit humain.

D’où le titre : on « éclaire sa nature » profonde. Le but de l’association est donc, au travers du scoutisme et de l’éducation à la pleine conscience, « d’accompagner les jeunes vers la recherche de leur propre boussole intérieure, tournée vers une vie épanouie, des actes positifs, responsables, utiles à eux-mêmes, aux autres et au monde ». Rien à redire. Le projet, sur le papier, n’a rien de choquant. Au contraire même.

Dans un monde capitaliste shooté aux amphétamines, où notre cerveau est une ressource à capter et où vivre ne suffit décidément plus, rien d’étonnant à vouloir se tourner vers ses propres ressources internes de joie, de contentement. Car s’il y a bien un enjeu de notre époque c’est de retrouver de la souveraineté, du contrôle sur ce qui atterrit dans notre tête.

La spiritualité proposée chez les EDLN apaise, peut faire toucher du doigt une certaine compassion pour les autres, pour notre environnement. Très bien. Mais cela est la façade acceptable derrière laquelle se cache une réalité moins photogénique.

Une philosophie sous-jacente

La critique, la voici : les EDLN proposent une éducation spirituelle proche du développement personnel mettant un accent important sur la responsabilité personnelle de son propre bonheur niant, de fait, les influences sociales, culturelles et politiques de la société et ne laissant pas de place ni à l’éducation à l’esprit critique ni à l’importance des émotions sur l’action (colère, dégout, violence, injustice). Ces dernières semblent tout juste bonnes à être observées, avec recul, sans jugement ni analyse intellectuelles. Avec bienveillance.

L’enfant est invité·e à développer son potentiel humain via la méditation pour atteindre la meilleure version de soi-même. S’il ou elle est malheureux·se ce n’est pas à cause du patriarcat, du racisme, des politiques autoritaires, de l’écocide ou de la montée du fascisme. Non, s’il ou elle est malheureux·se c’est qu’il n’a pas accueilli son émotion avec bienveillance et équanimité. C’est de sa faute et la méditation est là pour lui apprendre à mieux gérer ses émotions la prochaine fois.

La pleine conscience dépolitise complétement la source de la souffrance. Cette philosophie est inhérente au bouddhisme qui a pour croyance que le bonheur stable, permanent et sans origine extérieure existe et qu’il peut être atteint. Pourquoi alors s’embêter avec des choses aussi vulgaires et matérielles que le syndicalisme, l’esprit critique ou la lutte contre le mal logement.

Entendons-nous. Il n’est pas ici question de critiquer la méditation en elle-même. Bien qu’elle soit souvent recommandée à tort et à travers et pour absolument tous les maux de la planète sans avoir fait aucune recherche au préalable, il est indéniable qu’elle peut s’avérer être une alliée précieuse notamment pour calmer les ruminations mentales, source de maintien des troubles anxieux. Mais bien qu’il soit probable qu’en zoomant sur des personnes ou des projets de camps, on trouve des activités d’auto-défense féministe, d’éducation aux injustices de classe ou à la désobéissance : l’éducation politique ou à l’esprit critique n’a jamais été à l’ordre du jour chez les EDLN.

Un apolitisme New-Age

On observe à la place des sympathies liées aux pseudos médecines (naturopathie, soin énergétique, homéopathie, acupuncture médecine symbolique, etc) ; aux écoles Steiner, véritables centres d’endoctrinements aux spiritualités new-âge et conspirationnistes qui envisagent l’idée d’un moteur éthérique activé parla pensée humaine et qui déconseillent vivement les vaccins qui influeraient sur le karma et ainsi sur la possibilité d’expier les méfaits de ses vies antérieures ; à la biodynamie et à ses rites magiques à base de boyau de cerf cosmique tirées de l’imagination d’une personne qui dit avoir atteint la connaissance ultime de l’univers ; au mouvement des Colibris et notamment à Pierre Rabhi, sexiste, homophobe et anthroposophe notoire arboré fièrement comme parrain de l’association. Ma phrase est trop longue mais vous avez l’idée.

À l’éco-féminisme qui analyse et critique les rapports de dominations on préfèrera la collapsologie des propriétaires terrien·nes qui attendent le déluge pour appuyer sur le bouton « je vous l’avais bien dit » en sirotant un jus de betterave du jardin. À un imaginaire de résistance contre l’oppression et de solidarité avec les oppressé·es, on préfèrera la fable d’une écologie sans ennemi·es où il suffirait de restaurer l’équilibre de la forêt grâce au pouvoir de la gentillesse et de la communication.

Entendons-nous de nouveau. Les EDLN ne sont pas la somme de toutes ces croyances ni ne sont à l’origine de leurs méfaits. L’association des EDLN est par contre trop souvent la somme des croyants et des croyantes. La critique de ces croyances n’est donc absolument jamais faite. On préfère s’arrêter aux gentils sourires de Rabhi le sage, au « ça peut pas faire de mal » du soin énergétique ou à tout autre récit fictif qui cache la forêt. Car s’il est important d’avoir la liberté de pouvoir croire en ce que nous voulons, il est grave pour une association nationale d’éducation populaire en pleine croissance de faire autant l’impasse sur l’esprit critique de ses responsables, de ses animateur·trices, de son projet éducatif.

Bienveillance ≠ Complaisance

Les EDLN sont connu·es pour leur bienveillance et il faut reconnaitre que c’est souvent vrai. C’est d’ailleurs ce qui attire nombre de parents et de bénévoles parfois très remué·es suite à des expériences humaines éprouvantes dans d’autres associations ou dans d’autres cours de récré. À tel point que l’on peut parfois entendre qu’une personne malveillante n’est « pas très EDLN ».

Et la bienveillance est quelque chose de précieux. Il s’agit du fait de prendre soin, d’être compréhensif·ve, indulgent·e. Sans forcément aimer tout le monde, il s’agit de souhaiter que de bonnes choses adviennent aux autres humains, animaux, végétaux. Oui, milles fois oui mais il ne faudrait pas tout mélanger.

Car aux EDLN, bienveillance rime avec complaisance, avec le fait d’être d’accord, ou au moins tolérant·e avec toutes les croyances. Ne surtout pas critiquer, être gentil·le. Car de la critique peut naître le conflit et le conflit, ce n’est « pas très EDLN ». C’est pourtant une compétence extrêmement précieuse qu’il faudrait pouvoir transmettre aux enfants : la capacité à développer un esprit critique, à changer d’avis, à l’assumer devant les autres, à remettre en cause une croyance, à créer un rapport de force lorsque cela s’avère nécessaire, à développer un argumentaire et à l’assumer malgré la pression sociale et le conflit.

Car entrer en conflit cela s’apprend, ce n’est pas sale. C’est même grâce à lui que, l’été, nos vacances sont remboursées. Laissons la bienveillance continuer de s’occuper de ce qu’elle sait faire et commençons à développer, en parallèle, une culture de résistance assumée et revendiquée CONTRE les injustices et les dominations et non plus juste pour le simple bien-être de son cocon personnel et de sa propre classe sociale.

Politisez

Les EDLN n’ont rien inventé, ils se contentent de ne pas remettre en question le dogme du développement personnel. Les EDLN ont su s’inspirer du bouddhisme pour créer des outils permettant aux enfants d’apprendre à se connaître, qu’ils et elles s’inspirent maintenant de l’histoire des mouvements politiques et sociaux passés et actuels.

Arrêtons de nous aveugler avec la croyance que nous sommes en train « d’éduquer la génération de demain, celle qui changera le monde » car la mission de chaque génération n’est pas de refiler la patate chaude à celle d’après mais de combattre à ses côtés.

Politiser ce mouvement est faisable, joyeux, souhaitable. Cela ne remettra pas en cause le feu, la terre, la pluie, la guitare, les amis, les étoiles. Tout cela sera toujours là, beaucoup plus intense même. Que l’on gagne ou que l’on perde n’est même pas pertinent, au moins pouvoir dire que l’on a fait de son mieux.

Anonyme