Une presbyte cherche à ne pas devenir une vieille conne
On m’a dit : si tu écris un article dans l’Allume-feu, on augmente la police de caractère du journal !
Je n’ai pas été la seule à râler devant les caractères minuscules, m’empêchant de lire « au débotté » cet excellent journal. Cette injustice liée à l’âge m’a donné envie de parler de cette période justement, non pour parler de presbytie, mais plutôt d’intergénération. J’ai donc 50 ans et quelques années et l’impression d’être entre deux âges, entre deux mondes.
50 ans, âge magnifique !
À 50 ans, on se fait bousculer par ses enfants, devenus grands, qui ont leurs propres idées, leurs propres façons de voir le monde, d’autres sources d’information et une énergie à revendre : jusque-là, et en généralisant, c’était moi, qui apportait la « connaissance » et l’expérience à mes enfants. Aujourd’hui, ce sont mes enfants qui me font découvrir de nouvelles façons d’être et de penser et je suis entraînée dans une « remise en cause » salvatrice, euphorisante et dynamisante ! Si on se donne la peine d’écouter et d’être curieux, ça fait du bien ! On ne change pas tout, on ne remet pas tout en cause, mais au moins, on s’interroge.
De l’autre côté, nos aînés semblent dépassés par notre époque, pour beaucoup.
Ce « conflit de générations » ne serait pas si grave en soi, si on ne constatait beaucoup de conflits, d’isolement voire de souffrance chez ces aînés, qui ne semblent plus bien comprendre ce qui se passe. Ça a dû arriver à bien des époques, mais l’accélération de l’incompréhension semble aujourd’hui plus brutale qu’autrefois. Et bien sûr, je m’interroge aussi sur les gens de ma génération ou un peu plus vieux (les boomers quoi !), qui s’agrippent à leur monde d’avant, ne veulent pas essayer de comprendre, d’apprendre et changer. Comme si le « passage à l’âge adulte » valait passeport de « celui qui sait ».
Et forcément à titre personnel, je me pose bien des questions : pour ne pas s’isoler et rester sur le bas-côté, est-ce qu’on doit sans cesse se remettre en question ? ce qui peut vouloir dire ne jamais être en « confort », ne jamais se reposer sur ses idées, ne jamais être tranquille avec ses certitudes ? Est-ce que c’est possible ? Comment faire ? Nos aînés ne sont pas moins intelligents que nous, ils ont aussi été jeunes et dans l’opposition, dans la recherche d’un monde différent. Alors, pourquoi à un moment, pour beaucoup, ça ne marche plus ? est-ce par fatigue, résignation ?
Je fais des généralités sur cette question de l’âge : il y a aussi de jeunes cons qui ne veulent pas être curieux et des vieux magnifiques qui nous bousculent encore… mais force est de constater que la plupart du temps, en vieillissant, on fait de moins en moins l’effort de se remettre en cause et le fossé se creuse entre les générations.
Or ce sont les jeunes à chaque fois qui ont amené les « révolutions » et donc les évolutions de la société. C’est ce qui nous fait tous progresser.
Et si on cesse de se confronter à la jeunesse, on perd le fil de l’évolution du monde.
Et donc, pour ne pas devenir de « vieux cons », il faudrait écouter la jeunesse ! Oui, mais ce n’est pas aussi simple… Sur mon point de bascule, entre deux âges, je me demande comment avoir toujours le courage d’écouter, de changer de point de vue ou de manière de faire si je pense que c’est une bonne idée… comment m’enrichir, comment rester dans cette dynamique de remise en question et d’apprentissage.
Car les générations se mélangent peu en général.
Mixité d’âge, pour gommer l’âge ?
L’intergénérationnel, on y vient… La période où on est en « contact » avec des jeunes est finalement assez limitée : quelques années … Alors qu’il faudrait multiplier ces points de contact. Encore faut-il que les plus âgés (à tout âge) ne se mettent pas en position de donneur de leçon mais en position d’écoute et de questionnement et de partage.
Comment créer des lieux de mixité intergénérationnelle et comment apprendre aux aînés à rester à leur place ? Comment faire comprendre aux plus âgés que leurs enfants sont devenus grands ? Comment mettre de côté nos égos ?
Quels sont les lieux où c’est possible ? L’entreprise (au sens large, monde du travail) mine de rien, est un lieu de mixité générationnelle : jeunes diplômés, stagiaires, apprentis, toutes les entreprises savent qu’elles doivent faire de la place aux jeunes pour apporter de la nouveauté (technique, créative…) et pérenniser leur activité. Sans non plus mettre au placard les plus vieux. Aïe ! Un équilibre difficile à trouver. Personnellement, j’ai adoré avoir des stagiaires et des alternants, ils m’ont fait découvrir les premières séries (😉) mais ils ont aussi apporté leurs idées. Il faut accepter de leur laisser de l’espace et ça marche. Je pense que les entreprises voient leur intérêt (et je ne suis pas naïve… financièrement aussi) à avoir des jeunes, mais souvent, ça peut bloquer au niveau des équipes, qui se sentent menacées… On en revient à la question d’accepter de se laisser bousculer.
Le monde associatif, culturel, sportif ? Là, il y a du chemin à faire car à mon sens car il n’y a pas de réelle mixité. Il y a les associations de vieux et celles des jeunes. Coté jeunes, ça ne pose pas de problèmes, mais coté « vieux », ça se sclérose forcément… à un moment, ça ne colle plus. Il faut du sang neuf, ne serait-ce que pour coller aux besoins, aux méthodes de communication, d’organisation….
Et dans le scoutisme ? (je ne parlerai que des SGDF que je connais le plus). La force de ce mouvement est de donner plus de responsabilités aux jeunes que nulle part ailleurs. La pédagogie « éducation des jeunes par les jeunes » est bien au cœur de la démarche. Théoriquement les « adultes », les chemises violettes [note du relecteur : aux SGDF, la couleur des chemises des cadres du mouvement étant le violet, il est courant de les appeler ainsi par métonymie], ne sont là qu’en appui du groupe, on pourrait presque dire en appui logistique. C’est comme ça que j’ai vu mon rôle, c’est d’ailleurs comme ça qu’on nous le présente en formation. Soutenir les chefs qui eux s’occupent des enfants. Malheureusement souvent, dans certaines réunions, il y a plus d’adultes que de jeunes et ça étouffe la parole, les initiatives. Dans certains groupes, les « violets » sont trop présents et décident à la place des chefs, voire des jeunes. Ce n’est pas simple de faire confiance, et je l’ai vécu : en tant que RG [Responsable de Groupe], on a envie que le groupe avance, que les réunions soient régulières, que le camp se prépare en janvier…etc…etc… On est souvent dans une logique de résultats. Et donc, aller à la facilité, à la routine permet d’atteindre plus sûrement ces résultats. Alors qu’être à l’écoute, c’est finalement prendre des risques ! Mais être à l’écoute permet de voir éclore des projets fous, créatifs…qu’on n’aurait pas imaginés et qui se font si on les soutient. Les adultes devraient être là pour soutenir les projets des jeunes, même si ça les bouscule ! Quand ça se passe comme ça, on est dans la mixité, l’apprentissage collectif….
J’ose aller encore plus loin : dans le monde militant et associatif, est-ce que les plus âgés ne devraient pas d’eux-mêmes laisser les premiers rangs à la jeunesse inventive et créative, pour laisser se déployer les idées neuves et les soutenir pour qu’on aille plus loin collectivement ?
Se mettre sur le côté, non pour être exclu mais au contraire embarqué et s’en trouver soi-même rajeuni, changé…Me vient l’image de pyramides humaines en Catalogne où le socle est formé par les adultes, costaux, les piliers, et les jeunes montent jusqu’au ciel en s’appuyant sur eux. Avec ça, on pourrait atteindre des sommets !
J’entends déjà les mécontents (les rageux, c’est comme ça qu’on dit non ?). Alors, ok, une autre idée :
Des rites de passage pour avancer
Je crois assez aux rites de passage (enfin à un certain type de rites de passage, intelligents, pas des bizutages débiles ou autres rites violents ou fanatiques) ; et dans le scoutisme, c’est bien, il y en a… Le rite de passage est autant pour donner à celui qui le passe une sorte de légitimité, il est maintenant autre…, et à l’ensemble de ceux qui y assistent un message d’acceptation d’un cap passé. (Je pense qu’autrefois, avoir 18 ans voulait vraiment dire quelque chose pour les parents, ils acceptaient que leur enfant soit un majeur et prenne pleinement part à la société. Aujourd’hui, les « Tanguy » sont fabriqués autant par les parents que par les enfants eux-mêmes !)
Les rites de passage sont donc utiles pour marquer les étapes mais reste le biais de la progression liée à l’âge, qui induit l’idée qu’on atteint le summum de l’intelligence en vieillissant ! Il faudrait inventer des rites de passage sans cette notion.
Fonctionner sur un pied d’égalité ? une utopie ?
Est-ce que cette question d’âge a de l’importance finalement ?
C’est quoi rester ouvert d’esprit ? C’est une question de posture. Considérer l’autre comme son égal (jeune ou vieux), considérer qu’il a peut-être de meilleures idées que moi et considérer que je peux changer d’idée. Miser sur l’intelligence collective permet d’aller collectivement plus loin, sans s’attarder sur ces questions d’âge. Et généraliser les modes de gestion collective qui mettent tout le monde sur un pied d’égalité, participatifs, transparents, privilégier les modes de décision qui favorisent l’égalité, le fonctionnement en cercles sociocratiques, les rôles tournants, etc…
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La solution est sans doute multiple, comme toujours : en tout cas, favoriser une vraie mixité intergénérationnelle permettra à coup sûr d’éviter l’exclusion et l’isolement des plus âgés, leur donnera de vraies opportunités de se frotter aux idées des plus jeunes, sans les exclure.
Reste un bon bout de chemin à faire !
Pour la police de caractère de l’Allume-feu, je me suis résignée : j’accepte que ma vue baisse irrémédiablement et de devoir porter mes lunettes en permanence sur le nez… Ne changez rien ! Changez NOS points de vue !
Alain Damasio dans Les Furtifs : « Rien ne me plaît plus que d’apprendre (…) J’aime découvrir ce que je ne connais pas, j’aime assimiler des cultures différentes, urbaines, étrangères, des cultures qui me rendent plus vaste, plus ample. Je ne refuse rien a priori. »
bb
Garder son point de vue c’est rester immobile pour regarder ce qui nous entoure.
On peut essayer de changer de point de voir (c.f. DELIGNY), regarder le monde depuis une autre position : quand on regarde la justice du point de voir des « délinquants » on voit mieux qu’elle a une drôle de gueule, pareil des adultes du point de voir des enfants, et quand on essaie de regarder l’équipe de groupe du point de voir des respos on comprend mieux les limites qu’elle-ils peuvent ressentir de l’aide qu’on leur apporte et, peut-être, les repousser…