En finir avec la hiérarchie dans les projets
Un nécessaire retour aux sources
À croire Franck Lepage à la fin de ses conférences gesticulées sur l’éducation (Incultures 1 et 2 disponibles sur YouTube), le nouvel ennemi c’est le projet (le mot, ce qu’il évoque, sa structure, son fonctionnement) car il recrée, sans le dire, une hiérarchie entre les personnes notamment avec la figure du “chef de projet”. Ainsi, dans le monde de l’entreprise, le·a salarié·e met sa force de transformation et de production au service d’un projet accompagné·e d’un·e chef·fe qui gère à la fois le planning, la cohésion et l’atteinte des objectifs. Le recrutement des “collaborateur·rice·s” s’articule autour des compétences dont le projet a besoin, le salaire (sous forme de prime) peut fluctuer en fonction des objectifs dans une vision court-termiste car le projet a une durée déterminée. Ce management, entre autres, continue de détruire les conquêtes sociales du mouvement ouvrier du début du XXème siècle (journée de 8h, augmentation du salaire, congés payés…).
Pour faciliter la passerelle entre le monde de l’éducation et le monde de l’entreprise nous avons la pédagogie de projet en trois étapes : Choisir, Produire, Faire le bilan, qui prépare le·a jeune à retrouver les codes et fonctionnements présents dans les deux univers. Ainsi l’éducation formelle et informelle, institutionnelle ou associative, utilise et adapte cette pédagogie afin de former à la fois les futur·e·s “chef·fe·s de projet” et “collaborateur·rice·s” en valorisant les compétences acquises (Outil “Valorise-toi” chez les Scouts et Guides de France). On peut même constater une évolution notable des rôles des jeunes dans la pédagogie des Pionniers-Caravelles des Scouts et Guides de France (14-17 ans) dans laquelle le chef d’équipe fut un rôle aussi important que les autres puis très hégémonique et mis en valeur lors du rassemblement You’re Up et enfin unique avec le chef de projet (organisation) et le chef d’équipe (cohésion), seuls rôles à distribuer actuellement.
Et pourtant au départ de la pédagogie de projet il n’y a pas de chef, pas de hiérarchie. En effet, Paul Robin, éducationniste-réalisateur (anarchiste) a mis en place dans l’orphelinat de Cempuis la pédagogie de projet autour d’une imprimerie de 1882 à 1890 (42 ans avant Célestin Freinet qui en fit une figure centrale de sa pédagogie). Cet atelier d’imprimerie est ouvert aux jeunes à partir de 7 ans ; ils·elles apprennent la sténographie, la rédaction, la mise en page et l’édition du Bulletin de l’orphelinat. Le tout sans hiérarchie entre eux·elles, ils·elles décident ensemble au consensus, accompagné·e·s par le “maître” qui a une posture uniquement de facilitateur. Ils·elles choisissent, produisent et analysent leur produit et recommencent, la liberté est totale et l’apprentissage présent. Ce qui est en cause n’est pas la figure du projet, ni la pédagogie qui y est associée mais bien la présence ou non de hiérarchie à l’intérieur. Pour vous donner un exemple plus d’actualité, l’Allume-Feu lui-même fonctionne sur des principes libertaires sur l’ensemble de son processus de production et ça marche, qu’attendons-nous alors pour bannir les figures de “chef” qui limitent l’expression et la délibération des jeunes ? Sommes-nous là pour préparer les jeunes au monde de l’entreprise ?
Mama