Éduquer dans l’apolitique ou dans la politique
Sur la page d’accueil de l’OMMS (Organisation Mondiale du Mouvement Scout), on trouve d’abord les mesures Covid, mais on peut aussi lire la définition du scoutisme :
« Le Scoutisme est un mouvement éducatif pour les jeunes, fondé sur le volontariat ; c’est un mouvement à caractère non politique, ouvert à tous sans distinction de genre, d’origine, de race ni de croyance. »
Site de l’OMMS
En lisant cela, j’ai une question en suspens. Comment peut-on se dire « non politique » ? C’est une question qui se pose partout : qu’est-ce qui est politique et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Être politique, ça n’est pas simplement se dire de tel ou tel parti, c’est surtout véhiculer une certaine vision du monde et de son organisation. Dans toute action, toute parole, il y a un message politique, qu’il soit volontaire ou non. Si je m’habille avec un short pour aller en cours, c’est un acte politique intériorisé, je ne vois aucune raison de ne pas laisser mes jambes dénudées lorsqu’il fait chaud, j’estime que mes gambettes ne sont pas un spectacle choquant, et que les exposer fait partie de ma liberté. Si je mets dans mon top 3 des trucs que j’aime faire : « regarder une série Netflix » et « me balader sur les chemins côtiers », je cautionne la surconsommation d’énergie due au streaming, tout en me contredisant par mon amour de la nature et des espaces littoraux.
Bref, difficile de percevoir la limite entre ce qui est politique et ce qui ne l’est pas. Pourrait-on dire que c’est l’intention de l’agent qui rend ses actions ou paroles « politiques » ? En réalité non, puisque, même s’il n’en a pas forcément conscience, son action pourra être perçue comme politique par quelqu’un d’autre, et si ce n’est le cas, elle aura une influence certaine sur les perceptions de son entourage. Ainsi, si je mets un short pour aller en cours, même si je n’ai aucunement l’intention de prôner mon droit à la nudité tibiale, je véhicule involontairement l’idée selon laquelle c’est ok de se balader sans couvrir ses jambes.
Revenons au scoutisme. Je comprends que la mention d’apolitique soit importante dans la définition qu’on donne de ce mouvement. Parce que ça serait trop con de se voir associés aux jeunesses staliniennes ou hitlériennes, parce qu’on n’a pas d’idéologie officielle à transmettre (et c’est tant mieux), parce que le but est d’éduquer et donc d’ouvrir l’esprit de nos jeunes. Si « apolitique » est juste un mot pour dire qu’on ne fait pas de propagande directe et orientée vers un quelconque parti, alors il est légitime dans la définition du scoutisme.
Mais apolitique dans son sens large, c’est-à-dire « qui ne prend pas parti dans la question politique », en gros qui ne donne pas son avis sur le vivre ensemble, c’est tout sauf une définition correcte du scoutisme. On le sait, chacun de nos mouvements est marqué par une pédagogie différente : éducation mixte ou non, transmission par l’aîné ou cohésion par l’âge, présence de la question religieuse ou non, … Ces traits caractéristiques propres à chaque mouvements du scoutisme, on en a conscience, et on sait généralement à quoi s’attendre avant d’intégrer un groupe (encore que, certains parents ont pu avoir des surprises). Toutes ces distinctions suffisent déjà à montrer qu’on ne peut pas prétendre être apolitique lorsqu’on crée un mouvement quel qu’il soit : chaque choix (définition des tranches d’âges, des objectifs pédagogiques, …) véhicule des représentations du monde, défend des valeurs et donc porte un message politique.
Au-delà de ces caractères politiques évidents, au-delà de la pédagogie élaborée par tel ou tel mouvement scout, on trouve du politique dans chaque choix fait par les chef·fes. De l’imaginaire à la gestion des temps spi, le politique est partout, et souvent les encadrant·es n’en sont même pas conscients. D’autant plus chez les SGDF, où la liberté de la maîtrise est très importante (par rapport aux SUF, où par exemple le parcours spirituel semble beaucoup plus encadré). Ainsi, d’un groupe à l’autre, d’une année à l’autre, les messages et valeurs transmis aux jeunes seront différents, mais toujours teintés de politique.
Bon, mais alors, qu’est-ce que ça fait qu’on soit politique ? Pas grand-chose vu que tout l’est. Simplement, la question est de savoir jusqu’où peut-on l’être sans tomber dans la propagande. Dans le numéro précédent de l’Allume-feu, p.13 (https://allume-feu.tila.im/index.php/2020/10/25/lendoctrinement/) on peut lire que :
« pour un enseignement animé par l’émancipation, les doctrines doivent être présentées comme telles : des concepts idéologiques parmi lesquels le ou la jeune pourra faire ses choix en liberté de conscience. »
L’Allume-Feu, numéro 1
Ainsi, pour éviter de tomber dans ce travers de l’endoctrinement, il faudrait présenter chaque message politique comme tel. Mais comment le faire avec tout ? Lorsqu’on parle de la question religieuse, il semble facile de dire aux jeunes qu’iels peuvent y croire ou non, mais quand on organise les services par tours, comment remettre en question ce mode de fonctionnement alors qu’il est à la base de l’organisation du camp ? De plus, n’y a-t-il pas des messages bons à passer, comme la tolérance, le respect de l’autre, l’équité ? Et certaines valeurs des scouts doivent-elles vraiment être déconstruites, au risque de perdre l’essence du scoutisme ? Par exemple, la protection de l’environnement doit-t-elle rester au stade de simple concept, ou peut-elle être ‘imposée’ aux jeunes par des actions concrètes comme la réduction de la consommation de viande, la priorité au local, la réduction des déchets, … ? Et si on accepte ces actions concrètes, pourquoi ne pas intégrer certaines valeurs à l’imaginaire ; puisqu’il est forcément politique, autant le teinter de valeurs positives ! Ainsi, si le méchant s’appelle Pesticidouil ou OGMan, est-ce qu’on passe à de l’endoctrinement, ou est-ce qu’on ne fait qu’appliquer la pédagogie et ses valeurs à l’imaginaire ?
Je ne sais pas vraiment où se trouve cette limite. Il me semble qu’il est difficile de tout remettre en question, le risque étant de perdre l’identité pédagogique que l’on défend (vie dans la nature, en communauté, …). Ce qu’il faudrait peut-être faire, c’est essayer de voir si chacun des aspects de ce qu’on propose correspond au message général que l’on veut faire passer. Sans tomber dans l’endoctrinement, avoir conscience qu’on défend des valeurs, essayer d’en discuter avec les jeunes, de confronter les points de vue. Pour moi, pas de problème à être politique si on en est conscient·e, et si on est prêt·e à se remettre en question.
B.BzzBzzou