Vers une relation éducative sans chef·taines et sans mineur·es
Si l’on souhaite favoriser réellement un scoutisme basé sur l’apprentissage par les jeunes pour les jeunes, il nous faut remettre en cause les hiérarchies qui perdurent au sein de nos mouvements. En ce sens, je souhaite critiquer ici la hiérarchie construite entre mineur.es et majeur.es dans le scoutisme.
Une hiérarchie entre mineur.es et majeur.es comme construit social
En tant que mouvements de jeunesse, les organisations scoutes s’inscrivent dans cette distinction qu’on retrouve dans la loi entre mineur.es et majeur.es. La pédagogie scoute est pensée pour les mineur.es par des majeur.es avant d’être mise en place avec elles et eux. Je souhaite questionner ici le principe d’une relation éducative basée sur l’apprentissage par des chefs et cheftaines pensé.es comme hiérarchiquement au dessus des jeunes.
Cette idée de mouvement de jeunesse revient à considérer que le but premier du scoutisme est de s’adresser à des mineur.es, de leur proposer un projet éducatif spécifique qui leur est dédié. Mais sur quoi s’appuie cette distinction entre majeur.es et mineur.es qu’on retrouve dans la loi ? Comme l’explique la sociologue et féministe matérialiste Christine Delphy dans l’ouvrage L’Ennemi Principal :
« les enfants » n’a pas de réalité – d’unité – autre que celle de son statut juridique ; la base de ce statut est une privation de droits (encore plus extrême que celle des femmes mariées avant les réformes du Code civil) ; enfin, […] c’est au nom du « besoin de protection » des enfants qu’ils sont laissés à l’arbitraire d’autres personnes privées et que l’égale protection de la loi, c’est-à-dire la protection de la collectivité, leur est refusée, en particulier la protection contre leurs « représentants légaux », c’est-à-dire leurs parents » (p. 194).
Le parallèle entre les femmes sous le code Napoléon et la protection des mineur.es actuellement est assez criante : sous Napoléon, les femmes devaient obéissance à leur mari, avaient un statut juridique inférieur, n’avaient pas l’autorité parentale sur les enfants et pas le droit de vote, … Aujourd’hui les mineur.es doivent obéissance à leurs parents et ont un statut juridique inférieur. Les violences des parents sur les enfants ont très longtemps été perçues comme acceptables, comme longtemps les violences des maris sur les femmes avec qui ils vivaient. Cela s’appuie sur l’idée que les parents sauraient mieux que les enfants ce qui est bon pour elles.eux. La liste est longue des droits qu’on ne donne pas aux enfants…
De plus, comme le montre Christine Delphy dans l’ouvrage précédemment cité, il n’y a pas d’homogénéité au sein de cette catégorie des mineur.es :
« Le statut de l’enfant se poursuit jusqu’à dix-huit ans et s’applique à des populations ayant des niveaux d’autonomie très divers ; il s’applique notamment à toute une population d’adolescents qui sont non seulement en possession de tous leurs moyens, mais en possession de plus de moyens, physiques et intellectuels, que la population adulte qui les « garde » » (p.185)
« Ce qui est au principe de la privation de droits des enfants, c’est la majorité, qui crée, dans un système d’opposition classique, la minorité : une situation purement juridique, qui n’a aucun rapport avec une mesure quelconque des aptitudes des personnes » (p. 193).
Dans ces conditions, on peut légitimement se questionner : pourquoi la frontière entre mineur.es et majeur.es est à 18 ans ? Le groupe des mineur.es n’est pas un groupe homogène et encore moins naturel. La majorité civile est depuis 1974 fixée à 18 ans en France, elle était auparavant fixée à 21 ans. Aux États-Unis d’Amérique, suivant les États, la majorité civile oscille toujours entre 18 et 21 ans. Cet âge est donc un construit social qui varie suivant les sociétés. Cette frontière sociale entre mineur.es et majeur.es est par définition problématique car en créant une binarité on crée une relation de domination entre les deux groupes. L’idée n’est pas de nier qu’il peut y avoir pour les plus jeunes, un besoin de se référer à des personnes de confiance plus âgées mais plutôt de souligner que cela ne doit pas justifier la création d’une séparation binaire entre deux groupes qui ne sont pas homogènes.
Cette relation de domination entre mineur.es et majeur.es n’est pas seulement une affaire de mots. Elle a, il faut le rappeler, des effets concrets sur la vie d’être humains. Comme le souligne l’association Mémoire traumatique et victimologie :
“La famille est le lieu où s’exercent la grande majorité des violences envers les enfants et la quasi totalité des homicides d’enfants.” [En effet ]“les auteurs des violences sont très majoritairement les parents, les pères pour les violences sexuelles (81,6% des auteurs), les mères pour les négligences graves et les conditions d’éducation défaillantes (en sachant que les enfants sont le plus souvent avec leur mère), et les violences graves sont également partagées”
Alors que la loi confère aux parents la responsabilité de leurs enfants au nom de leur protection, on voit que dans les faits, ce sont bien les parents qui représentent les premiers auteurs de violences sur mineur.es. Cette violence s’appuie de fait sur la relation de pouvoir entre mineur.es et majeur.es, la hiérarchie étant le terreau de la violence. A titre d’exemple il aura fallu attendre juillet 2019 pour qu’une loi soit adoptée condamnant les “violences éducatives ordinaires” dont la fessée.
Des pistes pour la remise en cause du statut oppressif de mineur.e dans le scoutisme
Questionner cette hiérarchie entre mineur.es et majeur.es pourrait faire l’objet d’une recommandation politique spécifique du scoutisme français à destination des décideurs et décideuses politiques. Pour autant, d’ici un changement légal, d’autres alternatives peuvent être mises en place de manière complémentaire.
Dans le langage
Remettre en cause cette hiérarchie entre mineur.es et majeur.es peut passer par l’abolition du terme de chef.taine. Quoi de plus hiérarchique et dénué de sens que cette appellation ? Comme par exemple chez les Éclaireurs et Éclaireuses Unionistes de France (EEUDF) qui utilisent le terme de responsable, on pourrait dans un premier temps utiliser davantage d’autres appellations.
Il est aussi intéressant de se questionner sur le sens qu’on met derrière les expressions telles que “mes jeunes” qui traduisent une forme d’appartenance qui ne correspond pas à la relation éducative qu’on souhaite créer entre des êtres humains à mon sens.
Dans l’autogestion
C’est l’objet même de ce journal, il s’agit de montrer que le scoutisme est un espace où les jeunes peuvent s’épanouir en étant maîtres et maîtresses des projets qu’iels souhaitent réaliser. A l’image du projet éducatif des Éclaireurs et Éclaireuses De France (EEDF) dans lequel il est question d’“une auto-gestion de la vie quotidienne, terrain d’apprentissage de l’autonomie et de la solidarité”, nos mouvements ont un rôle à jouer pour que, dans le respect de la sécurité physique, morale et affective des jeunes, celles et ceux-ci puissent apprendre par elles et eux mêmes !
Très concrètement cette autogestion des jeunes peut passer par une remise en question des différences de règles qui s’appliquent aux mineur.es et aux majeur.es sur le lieu de vie. Cette séparation entre majeur.es et mineur.es a parfois du sens mais pour une grande majorité de cas, elle n’est pas légitime.
Être conscient des risques de violences subies
L’infériorité du statut de mineur contribue aussi à un traitement différencié des réactions des enfants et adolescents qui se traduit entre autre, selon l’association Mémoire Traumatique et Victimologie par :
“une stigmatisation des troubles de la conduite et des troubles du comportement des enfants et des adolescents, troubles qui masquent une souffrance non reconnue, ainsi qu’une banalisation de signes de souffrance mis sur le compte de la crise d’adolescence.”
En ayant conscience du fait que des mineur.es sont massivement victimes de violences mais aussi co-victimes de violences (quand iels sont témoins de violences conjugales), les animateurs et animatrices ont un réel rôle à jouer pour ne pas minorer ces violences mais plutôt orienter les victimes vers des personnes formées pour les accompagner.
Dans la gouvernance de nos mouvements
Une relation éducative où on brouille la hiérarchie entre majeur.es et mineur.es se construit aussi par l’entrée des jeunes dans les structures de décision du mouvement. Pour aller encore plus loin dans l’auto-organisation, on pourrait imaginer des quotas par âge au sein du conseil d’administration des différentes associations du scoutisme français par exemple. A titre d’exemple, au sein des Scouts et Guides de France, aucun.e des personnes élu.es au Conseil d’Administration n’est aujourd’hui un membre jeune ou un.e chef.taine.
Dans la remise en cause du statut de mouvement de jeunesse
Pour réellement casser cette frontière entre mineur.es et majeur.es, les différents mouvements scouts auraient tout à gagner à proposer un projet éducatif pour tous et toutes. Nous avons encore tant à apprendre au fil des âges, autant ne pas limiter les apports du scoutisme aux plus jeunes !
Alors on s’y met ?
Altermondi
Sources :
Violences faites aux enfants : Un silence assourdissant et un scandale sanitaire, social et humain
https://www.memoiretraumatique.org/violences/violences-faites-aux-enfants.html
Violences faites aux enfants – Association mémoire traumatique et victimologie
https://www.memoiretraumatique.org/violences/violences-faites-aux-enfants.html