17 juillet 2020

Au feu les bûchettes !

Par allumefeu

Est-ce que vous connaissez Louis Joinet ? C’est un ancien scout de France, parmi les premiers éducateurs de rue, puis il est devenu magistrat et je vais pas vous réciter sa page Wikipedia, mais elle vaut le détour. Il a fondé le « collectif des magistrats allergiques aux décorations », en estimant que pour garantir leur indépendance, les magistrats ne devraient pas accepter de breloques genre légion d’honneur.

Bon, alors j’ai envie de fonder l’association des scout·es allergiques aux bûchettes. Parce que j’aime pas les bûchettes et que je pense qu’on devrait s’honorer de ne pas en porter quand on pourrait le faire. Exposé des motifs en quatre actes.

Acte 1 – c’est quoi les bûchettes ?

Les bûchettes, appelées parfois tisons, sont des sortes de perles de bois qui s’accrochent autour du cou, avec le foulard. Elles sont remises à des personnes en fonction d’une certification : ça varie un peu selon les associations, mais globalement 2 bûchettes c’est directeur⸱ice de camp, 3 c’est formateur⸱ice, 4 c’est formateur⸱ice à l’international … vous voyez l’idée. C’est donc un objet de « reconnaissance des compétences acquises, de la mise en œuvre du projet scout et les formations qui lui sont associées » (dit le document des SGDF), et « non une décoration ou un insigne lié à une fonction » (dit le document des EEDF).

Acte 2 – cette histoire gênante

L’origine des bûchettes est sérieusement malaisante : les premières ont été prises par Baden-Powell sur un grand collier rituel appartenant à un chef zoulou, Dinuzulu. Ce collier était normalement remis aux guerriers pour leur bravoure et leur autorité. BP l’avait « trouvé » (= volé) durant la guerre des Boers et ramené, à défaut de ramener le chef qu’il avait ordre de capturer. Et tranquillou, quelques années après, premier camp de formation des chefs scouts, pour les valoriser, il leur en donne des morceaux et bim, ça a lancé une tradition : les bûchettes.

Qui a dit « appropriation culturelle » * dans la salle ?

Acte 3 – la symbolique

Bon, mettons que l’on fasse fi de cette gêne historique, concentrons-nous sur la pratique.

D’abord, reconnaître et valoriser les compétences & parcours, je trouve ça super, y compris de manière ritualisée. Si on se base sur un parcours de formation clair, ça permet d’éviter le copinage. Les bûchettes ont de ce fait un côté égalitaire : toutes les personnes qui ont la certification correspondante peuvent les demander. Comme disait un camarade : « Si elles sont remises selon des critères transparents, atteignables par chacun·e, qui n’induisent pas d’inégalités, j’ai du mal à voir où est le problème »

Alors j’en vois un quand même, et de taille : elles ont vocation à être portées et affichées à la vue de tout le monde. Ce n’est donc pas que de la reconnaissance : c’est aussi de l’attribution d’un statut spécifique, qu’on le veuille ou non. C’est d’ailleurs accentué par le fait que plus tu « montes en grade », plus tu as de bûchettes. Les bûchettes, parce qu’elles sont ostensibles et échelonnées, sont intrinsèquement un symbole de hiérarchie.

Ce statut symbolique semble être moins fort en France (même si le port des bûchettes n’est clairement pas neutre) que dans les rencontres internationales. Pour citer un autre camarade : elles y induisent régulièrement « une hiérarchie, sur la prise de parole, le ralliement d’avis ou même (pire) passer devant tout le monde pour aller aux douches en Jamboree ».

Fondamentalement, si on en attend pas une reconnaissance particulière de la part de nos interlocuteur·ices, pourquoi porter les bûchettes juste sous leur nez ?

Acte 4 – le pire

Il paraîtrait que de nos jours, elles sont le plus souvent en plastique, et pas en bois. Scandale !

Conclusion, je m’en vais créer l’association des scout·es allergiques aux bûchettes, garantie avec gouvernance collégiale et adhésion à prix libre, rejoignez-moi !

Maud

*Le fait, pour une culture dominante ou une personne qui en est issue, de récupérer les éléments culturels habituellement dévalorisés / moqués / ignorés d’une culture dominée. Cette appropriation profite à la personne dominante, car elle peut être perçue comme drôle, cool, ouverte, engagée, originale… du fait d’avoir utilisé cet élément « exotique ». – Définition issue des formations des CEMEA Bretagne