Les dérives du SNU vues par la presse
Dans cet article, je vais me concentrer sur la couverture médiatique démarrant au lancement de l’expérimentation du SNU, en juin 2019. Comme nous allons vite le voir, que ce soit le dispositif en lui même, la communication du gouvernement ou des évènements problématiques durant les séjours, celle-ci ne fut jamais très positive.
Un démarrage sur les chapeaux de roue
Dès le 16 juin, plusieurs médias comme Le Monde ou Libération se font le relai de la communication d’Orlane François, alors à la tête de la FAGE (syndicat étudiant). Celle-ci dénonce un « dispositif très paternaliste » et s’oppose au caractère obligatoire. Le coût estimé du dispositif, à 2000 euros par jeune
soit 1,6 milliards d’euros par an, choque alors qu’au même moment l’université et l’éducation nationale manquent de moyens. Anna Ky pour Révolution Permanente a des mots plus forts : le SNU est « une véritable formation de soldats dociles » et un moyen pour le gouvernement de « mater » la jeunesse, trop
prompte qu’elle est à se mobiliser et contester le pouvoir (Mantes-La-Jolie, les gilets jaunes, la lutte pour le climat, etc.).
La communication du gouvernement autour du SNU est extrêmement critiquée, dès le début de la « phase pilote » du 16 au 28 juin. Arrêt sur Images et Télérama rapportent que sur TF1 et France 2 pendant le même créneau de JT, la même jeune nommée Lucie prépare sa valise avec une mise en scène similaire et des vêtements différents. En citant Télérama : « Je me demande si Lucie a dû faire ses bagages pour chaque tournage préparé par les services de communication du gouvernement ». Il s’avère qu’elle a été nommée plusieurs mois plus tôt « ambassadrice du SNU » avec 12 autres jeunes, un par département test, censé·es promouvoir le dispositif (la fonction d’ambassadeur existe d’ailleurs toujours en 2022).
En clair, pour faire un reportage sur des jeunes partant au SNU, les rédactions devaient systématiquement passer par le service de communication du ministère. De plus, l’initiative des reportages sur le lancement de ce premier SNU venant des préfectures, l’expérience des journalistes y est « mitigée », comme le rapporte Libération le 20 juin. Si pour certains, cela se passe relativement bien sans trop d’encadrement, certaines préfectures, un peu trop “zélées” ont empêché les journalistes d’échanger librement avec les jeunes voir même de choisir leurs interlocuteur·rices.
Dans les mêmes dates, Le Nouvel Obs remarque que, face à ce déluge de jeunes chantant la Marseillaise en uniforme, « de nombreux internautes ont exprimé leur trouble à la vue de ces images à l’atmosphère très martiale ». Cette tendance persiste après la publication par Libération d’un reportage le 26 juin, où une
photo montre six adolescents en train de réaliser des pompes en punition pour avoir mis leurs mains dans les poches. Au vu des réactions outrées jugeant cette punition « “physique“, “collective” voire “violente” », la journaliste change la description quelques heures après la publication. Elle se justifie en argumentant que c’est un « jeu » entre les animateurs et les jeunes qui étant volontaires et attirés par l’uniforme, n’ont pas de problème avec ce type de punition qui leur permet de « faire du sport ». Chacun est juge de si cette défense est convaincante.
Le weekend du 14 juillet, le ministère organise une large campagne de promotion du SNU sur les réseaux sociaux. Deux jeunes influenceurs (Sundy Jules et Enzo Tais-Toi) publient des vidéos « élogieuses » en story
auxquelles ils joignent la vidéo promotionnelle commandée par le ministère sans indiquer s’il y a sponsorisation. Contacté parle service Check News de Libération, Gabriel Attal avoue « à demi-mot » avoir eu recours à des influenceurs, sans dire leur nom ou leur rémunération. Il raisonne que le SNU « concerne en premier lieu les jeunes » et doit les cibler dans leur communication. Les critiques concernent également Tibo In Shape, youtubeur “muscu” déjà connu pour ses vidéos vantant l’armée et la police, qui récidive avec le SNU. Dans sa vidéo intitulée « je fais le nouveau service militaire ?? », qui a lieu en Guyane, il discute avec G. Attal en le tutoyant allégrement. Le partenariat est (discrètement) indiqué dans la vidéo, ce qui laisse supposer que le youtubeur a probablement été très bien payé. Ce scandale a refroidi le gouvernement puisqu’en 2021, Sarah El Haïry dira qu’on ne les y reprendra plus car les Français « ne sont pas prêts ».
Remise en question idéologique et politique
Dans une tribune publiée le 18 juin 2019 dans Le Monde, l’historienne Bénédicte Chéron explore les représentations menant à la création du SNU. Elle explique que ce que Macron envisageait originellement comme un renouveau du service militaire est finalement plutôt désinvesti par l’armée, qui ne voit pas d’intérêt à un dispositif où la finalité n’est pas de former au « métier des armes ».
La communication « enthousiaste » d’E. Macron et de G. Attal autour du dispositif est, pour elle, le « parfait écho » de la communication utilisée en 1965 lors de la création du service militaire, au lendemain de la guerre d’Algérie. Le pouvoir politico-militaire parle à travers des revues de modernité, de rencontres, de voyages et d’opportunités, et beaucoup moins de finalité guerrière. Elle fait l’argument que ces ambitions, quoique « sympathiques », ne suffisent pas à maintenir la cohérence de l’ensemble car l’aspect obligatoire n’est plus légitime sans « finalité concrète qui s’impose à tous ». Le dispositif se délite progressivement jusqu’à sa suspension en 1997.
Gabriel Attal, né en 1989, fait partie d’une génération politique « bercée parla nostalgie » à l’origine d’une « pensée magique » accordant au défunt service militaire toute sorte de vertus pour la jeunesse et la nation. Elle est donc persuadée que le SNU est donc tout autant voué à l’échec que son prédécesseur.
Une journaliste de Mediapart, Faiza Zerouala, analyse les visées du SNU dans un long article publié le 21 juin. On y apprend qu’en 2017, tous les candidats de droite et d’extrême droite proposent de faire renaitre une forme de service militaire, même J-L Mélenchon parle d’un « service citoyen obligatoire ». Le sociologue Vincent Tiberj y voit le reflet d’une « conception générale de la jeunesse » où celle-ci doit être « dressée ». La visée finale n’est pas l’émancipation mais un conditionnement au respect de l’ordre et des règles afin de leur apprendre à obéir. Il explique qu’il est de l’ordre du « fantasme » de penser que le service militaire favorisait un « brassage national ». Les hiérarchies sociales y étaient « au contraire reproduites », les élites ne se mélangeant pas avec les autres.
Benedicte Cheron rappelle que le SNU ne peut pas être pensé en dehors des questions « d’intégration des jeunes issus de l’immigration ». Les révoltes urbaines de 2005 arrivant quelques années après la suspension du service militaire, on se met à lier les « maux sociaux réels ou supposés » à sa disparition, alors qu’il « ne jouait plus ce rôle-là ». D’après elle « E. Macron et G. Attal ne conservent que la coquille du récit du service militaire pour le rendre attractif et justifier son existence ».
L’article cite également Claude Lelièvre, historien, pour qui la réforme du SNU est le « signe d’une angoisse », d’un repli sur des éléments archaïques, peu importe que la réalité historique ait été toute autre. Vincent Tiberj le rejoint dans son analyse, évaluant que « la société se recroqueville autour du drapeau depuis plusieurs années » (tragédies, coupe du monde, etc.). C’est un « retour au nationalisme banal », où il y a une seule manière de former les gens, soit en mettant les jeunes « au garde à vous », sans possibilité d’esprit critique.
Impact sur les corps et les esprits
Le premier scandale du SNU a lieu en 2019 pendant la commémoration du 18 juin à Évreux. Le Parisien rapporte que le maire inaugure la nouvelle statue de Charles de Gaulle sur la place du même nom et plusieurs dizaines de jeunes volontaires du SNU ainsi que des cadets de la défense sont présents. Obligés de rester immobiles sous le cagnard, 29 d’entre eux font des malaises à cause de la chaleur (plus de 31 degrés), dont un qui sera évacué parles pompiers. Malgré la communication du ministère mettant ces malaises sur le dos de « l’émotion », les témoignages rapportés dans la presse et en interne depuis indiquent que ces malaises ne sont pas une exception mais la norme. Les jeunes doivent rester debout et le plus immobiles possible alors qu’il fait plus de 30 degrés, pendant des cérémonies parfois interminables, alors que les journées sont bien trop chargées et qu’iels n’ont pas la possibilité de se reposer correctement.
Mediapart publie le 27 juillet 2019 un reportage réalisé à Carpentras pendant ce premier essai du SNU, où la direction comprend un proviseur de lycée et ancien scout, un colonel et un cadre de l’association Léo Lagrange. Ils ont été autorisés à rester deux jours sur les lieux par le ministère de l’éducation nationale (contrairement au réputé journal L’Allume-Feu qui a eu droit à…deux heures).
Bien que l’encadrement soit principalement militaire et très attaché à leurs méthodes (“gueulante”, punition collective, privation de téléphone, etc.), ils sont rapidement obligés de « lâcher » sur certaines choses. En effet, « le moule du SNU » commence rapidement à « se craqueler ». En cause, le rythme « très intense » difficile à tenir amenant plusieurs jeunes « à l’infirmerie ou aux urgences », et les malaises dus à la chaleur. Mais surtout, les 160 jeunes, bien que volontaires, sont avant tout des adolescents « fougueux, émoustillés, fragiles, cabossés » qui s’endorment tard le soir.
L’encadrement se retrouve très vite complètement démuni face aux situations révélées par certains mineurs de violence, de souffrance psychologique, d’addictions etc. Personne ne semblant avoir anticipé que des jeunes volontaires pourraient aller « mal », il n’y a pas de médecin sur place. Pour l’un des cadres, ne pas se donner les moyens de « gérer ces émotions », c’est garantir que le SNU devienne « une usine à gaz ».
Le futur du SNU semble alors flou, en fonction qu’il reste sur la base du volontariat, risquant alors de « créer une nouvelle ligne de démarcation entre les jeunes d’une même génération [entre les jeunes SNU et les autres] », ou qu’il devienne obligatoire.
Peu de temps après la fin de la première édition, le 5 juillet 2019, France Info publie un article sur le « bilan mitigé » de certain·es participant·es et encadrant·es. Antoine, encadrant, raconte une soirée où les jeunes ont été réveillés en pleine nuit avec une alarme incendie, les cadres jetant des fumigènes en simulant une fusillade. Résultat : plusieurs jeunes ont perdu connaissance, fait des malaises ou des crises
de panique. Angélique, une jeune, précise qu’une fille de sa chambre a fait une crise d’épilepsie. Iels évoquent également un cadre « particulier » et qui « faisait peur à tout le monde » leur faisant subir des « petites humiliations ».
Au démarrage de la session 2022, la presse locale rapporte plusieurs incidents que le SNES (Syndicat National de l’Enseignement Secondaire) compile sur son site le 4 juillet. On y retrouve des problèmes d’organisation comme des postes d’encadrants non pourvus, les affectations de jeunes et de cadres non connues à quelques jours du départ, des problèmes de transports avec des changements d’horaires de dernière minute. Mais ce n’est pas la seule difficulté: il y a aussi la logistique avec des centres situés dans des lycées privés catholiques et même dans un centre religieux, ainsi qu’un centre situé dans un village de vacances fermé à cause d’une invasion de punaises de lit. Plus préoccupant, on observe une explosion des contaminations COVID ainsi que des propos racistes et du « lgbt-bashing », et pour couronner le tout, un
encadrant en garde à vue avec ouverture d’une enquête pour agression sexuelle sur un jeune.
Ce même mois de juillet 2022, Mediapart publie un article en partenariat avec Rue 89 Strasbourg révélant qu’une punition collective a eu lieu le 5 juillet, soit le deuxième jour de la session se tenant au lycée Jean Rostand. Dans la nuit, plus d’une centaine de volontaires ont dû descendre dans la cour du lycée. Le directeur adjoint, un ancien lieutenant colonel, a décidé de tous tes les punir car deux jeunes ont été surprises dans un dortoir pour garçons après leur couvre-feu. Agathe, l’une des tutrices, témoigne de la scène : « Ils étaient près de cent trente à faire des pompes et du gainage, dehors. Une fille était en pleurs, obligée de faire les exercices alors qu’elle se plaignait de maux de ventre déjà dans la journée. Plusieurs gamins sont rentrés en pleurs ».
Deux encadrants sont à l’initiative de cette punition, deux anciens militaires avec une longue carrière l’un dans la marine, l’autre dans l’armée de terre. Les tuteur·ices auraient exprimé leur désaccord mais une dira « on n’a pas notre mot à dire » .Iels témoignent de difficultés récurrentes avec ces cadres peu expérimentés en animation et l’accompagnement de mineur·es. Agathe explique que les militaires ne se rendent pas compte qu’une journée « de 6h à 22h30, c’est très long », que les animateur·ices auraient « privilégié un temps calme » car les jeunes « n’ont pas l’habitude de faire autant d’activités » et sont
« épuisés » par leur année scolaire. À la suite de cet évènement, les deux encadrants mis en cause ont été suspendus dès le lendemain, et ont fini par démissionner.
La reprise en 2021 : Sarah El Haïry et le choix de l’islamophobie
La reprise du SNU en 2021 coïncide avec les retombées médiatiques et politiques du meurtre de Samuel Paty. Elena Pougin publie le 16 janvier un article dans Le Monde qui donne le ton de ce changement d’ambiance. C’est désormais Sarah El Haïry qui a récupéré la charge du projet, qui aurait maintenant l’ambition de s’inscrire dans « la lutte contre le séparatisme ». Le fait que les inscriptions pour les sessions SNU de 2021 démarrent mi-janvier serait « stratégique » car le projet de loi contre le séparatisme revient à l’Assemblée Nationale le 1er février. Sympathique.
Le ministère promet de « sélectionner des profils diversifiés » et que « la représentativité est au cœur du projet SNU ». De belles promesses alors qu’on apprend un paragraphe plus tard que le secrétariat d’État se prépare à « des débordements » de la part de certains jeunes. Sarah El Haïry déclare souhaiter que le SNU apprenne à ces jeunes « parfois déviants » à savoir « comment débattre et se comporter en société ». Elle qu’on sait tellement ouverte à la discussion…
En plein lancement de l’édition 2021, Carla Biguliak publie le 25 juin sur Révolution Permanente un article sur une vidéo promotionnelle où Sarah El Haïry s’adresse aux jeunes dans une salle de classe. Les jeunes
sont en uniforme et l’écoutent débout, mains dans le dos et en silence, alors qu’on voit un crucifix en arrière-plan. Il lui semble « scandaleux et hypocrite » que le gouvernement qui mène « une énorme offensive contre la religion musulmane au nom d’une certaine laïcité » soit bien moins gênée des signes religieux concernant la religion catholique. Le gouvernement « cherche à promouvoir les valeurs (…) d’un État impérialiste qui opprime, précarise et assassine » sous le prétexte d’un « engagement citoyen ». Leurs appels à « l’unité nationale », au patriotisme et à la mise en place d’une « défense nationale » sont loin d’être neutres dans un contexte de plus en plus sécuritaire et islamophobe.
Fait notable, le lancement de la troisième session du SNU le 3 juillet 2022 est presque concomitant avec l’annonce de la composition du gouvernement Borne le lendemain. On y apprend que Sarah El Haïry est maintenant secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du SNU. Un poste rattaché au ministère de l’Éducation Nationale et à celui des Armées.
Pour Maëlle Hills, qui l’écrit le 5 juillet dans Révolution Permanente, c’est un signe inquiétant pour plusieurs raisons. D’abord, la volonté du gouvernement de « mettre au pas » la jeunesse par la répression physique et en passant par « une offensive idéologique réactionnaire ». Cela s’inscrit également dans « un contexte de militarisation croissante de l’Europe », Macron ayant affirmé dans sa campagne vouloir « s’appuyer sur la jeunesse » et leur donner des garanties financières (type financement du permis) pour les pousser à devenir réservistes.
Sarah El Haïry reprend son rôle de figure de « l’anti-wokisme » gouvernemental qui considère comme « victimaire » tous les discours dénonçant le racisme d’État et le racisme systémique. Grande défenseuse de la loi « séparatisme », elle s’inscrit dans la « continuité de l’offensive islamophobe et réactionnaire menée par Jean-Michel Blanquer dans l’Éducation nationale ». Il est donc préoccupant d’imaginer ce que ces deux ministères ensemble peuvent avoir comme pouvoir de répression et de soumission envers la jeunesse « via le SNU ».
La suite, elle s’écrit encore. Je ne pense pas avoir réussi à faire rentrer toutes les critiques et les évènements problématiques concernant le SNU évoqués dans les médias ces trois dernières années dans cet article. Néanmoins j’espère que tout cela vous donnera quelques outils de réflexion sur ce dispositif, ses ambitions, sa mise en place et l’idéologie qui l’anime.
Maloud