Pour un scoutisme autogéré chez les SGDF
**cet article a été rédigé dans le cadre d’un numéro spécial pour l’AG 2022 des SGDF**
L’idée n’est pas ici de dire que les SGDF seraient ou non démocratiques mais de comprendre les blocages et les limites du fonctionnement actuel. Dit autrement, si on s’appuie sur les principes libertaires, comment peut-on porter de nouvelles revendications pour un scoutisme bien plus démocratique ?
Le manque d’information et de place pour le débat contradictoire
Cet article débute par un constat précis qui s’observe de manière assez large au sein des Scouts et Guides de France, qu’on retrouve dans ce témoignage d’un membre des SGDF qui a voulu rester anonyme :
« Moi quand j’ai pensé aux questions de démocratie dans l’asso, au début je me suis dit que j’y connaissais rien donc je me sentais pas trop légitime à en parler. Puis en fait je trouve que rien que ça c’est que y a un problème : j’ai passé plus de dix ans dans le mouvement, et je sais toujours pas comment ça marche, même si j’ai eu des missions au national et tout. Genre l’agora compa, on élisait une personne, et c’était quasi tout le temps une personne d’un des gros groupes du territoire, à Grenoble. Les retours étaient vagues, et ça paraît super éloigné toujours. l’AG pareil, j’y suis jamais allé, je sais pas comment ça marche, etc. Et je pense qu’en soit une majorité du mouvement est dans mon cas ».
Quel pourcentage des membres saurait expliquer quelles sont les missions du CA des SGDF ? Quel pourcentage des membres a connaissance du mécanisme de pétition en amont de l’AG ? Quel pourcentage des membres se sent impliqué dans les décisions prises par le mouvement sur l’évolution de son projet éducatif et pédagogique ? A titre d’exemple sur un sujet concret, qui était au courant qu’une base SGDF accueillait un camp du Service National Universel (SNU), auquel l’association a marqué son opposition par ailleurs ?
Tout changement au sein de la gouvernance des SGDF implique donc comme condition indispensable une égalité d’information entre ses membres sur les dispositifs existants et surtout sur les débats d’orientation qui animent le mouvement. C’est uniquement dans ces conditions que chacun et chacune se sentira concerné.e. On pourra nous répondre que les AG sont maintenant retransmises en ligne en direct chaque année. C’est une évolution positive importante mais elle ne permet pas à chacun et chacune en l’état de comprendre comment on en est arrivé à ces votes.
Un autre exemple récent : quand des textes stratégiques comme le plan d’orientation sont votés en un bloc, il s’agit ni plus ni moins d’un moyen de faire taire les oppositions qui pourraient se cristalliser sur certaines parties du texte et qui auraient pu prendre forme sur un vote pour chaque partie clé. Derrière cet élément technique, cela traduit bien que les dirigeant.es de l’association réduisent les espaces de débat contradictoire et donc la possibilité de délibération pour arriver à des solutions co-construites.
S’opposer à des décisions du CA ne doit pas être perçu comme une remise en cause globale des SGDF, ce qui est trop souvent le cas, mais comme le meilleur moyen de faire avancer le mouvement.
Il est donc important de souligner que la démocratie associative ne se limite pas à de l’information mais qu’elle doit se traduire par une plus grande culture démocratique au sein du mouvement facilitée par des processus dédiés à chaque échelon et en partant de la base : les groupes locaux.
Au niveau de l’unité/Du groupe
On observe déjà certaines pratiques démocratiques notamment à ce niveau de l’association. Le « jeu des conseils » où les jeunes sont partis prenantes des choix faits en unité et l’élection sans candidat.e des responsables de groupe sont deux pratiques courantes qui sont intéressantes d’un point de vue démocratique.
Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour tendre vers des pratiques plus démocratiques et donc plus égalitaires au sein des groupes. Des responsables de groupe (RG), en s’appuyant souvent sur la différence d’âge, perpétuent ce positionnement de chef.taines des chef.taines du groupe, ce qu’iels ne sont pas, rappelons-le.
Il pourrait aussi être intéressant d’imaginer un processus de budget du groupe co-construit entre l’équipe de groupe et les unités. Trop souvent les choix faits sur le budget d’un groupe restent une décision prise entre 4 yeux par des personnes qui ne sont plus chef.taines depuis bien longtemps.
Penser les processus démocratiques au niveau des groupes, c’est aussi abandonner les notions désuètes de chefs et cheftaines et parler d’animateurices ou de responsables comme dans d’autres mouvements. C’est aussi renverser la tendance pour ne plus penser que monter dans les échelons jusqu’au national comme une ascension sociale. Il est temps d’abandonner la valorisation des hiérarchies mais plutôt de mettre en avant les missions prises par les personnes
Au niveau du territoire
Dans cet entre-deux qu’est l’échelon territorial, on retrouve un certain nombre d’équipiers territoriaux et équipières territoriales gravitant autour du directeur ou de la directrice territorial.e (DT). Des accompagnateur.rices pédagogiques (AP) accompagnent les chefs et cheftaines de chaque branche avec la personne responsable du pôle pédagogique (RPP).
L’idée n’est pas de critiquer cet échelon du mouvement mais de s’interroger sur le manque de démocratie dans le choix de ses membres ou de son fonctionnement. Même si on a tous et toutes bien conscience du manque de candidat.es à ce poste, On pourrait imaginer le choix du directeur ou de la directrice territorial.e via un processus d’élection sans candidat.es ou à minima un vote au jugement majoritaire des groupes. pourrait aussi donner une plus grande place aux groupes dans les propositions faites lors des assemblées territoriales pour faire remonter les besoins des membres de l’association (jeunes comme chef.taines).
Au niveau « du national »
C’est peut-être pour beaucoup l’échelon qui apparaît comme le plus flou. Qui pourrait expliquer comment s’organisent les équipes bénévoles et salariées du national ? J’en étais, à titre personnel, incapable avant de faire des recherches pour cet article.
Le Conseil d’Administration est donc composé de 25 membres dont aucun.e n’est chef ou cheftaine à ce jour. L’échelon national est composé d’une équipe de 140 personnes salariées et il semblerait plus de 300 chargé.es de missions bénévoles.
Pourquoi ne pas imaginer un quota de chefs et cheftaines au CA ? Ainsi qu’un quota de jeunes de plus de 16 ans ? Ça serait tout à l’honneur de notre mouvement de réellement être un mouvement par les jeunes pour les jeunes jusque dans ses instances stratégiques au niveau national.
On observe aussi que pour de nombreux rôles de chargé.es de missions bénévoles au national, le choix des personnes se fait par le système des « personnes appelées ». Pour résumer, c’est une personne qui chapeaute une équipe qui va appeler des personnes qu’elle connaît pour leur proposer une mission. Ce choix de fonctionnement contribue à faire perdurer un fonctionnement opaque où un petit cercle d’happy few a plus de chances de participer aux actions de l’échelon national et limite la pluralité des profils qui pourraient être intéressés par ce type de mission.
Il est temps d’abandonner la valorisation des hiérarchies mais plutôt de mettre en avant les missions prises par les personnes.
Focus sur le processus démocratique
A l’heure actuelle le processus de décisions stratégiques au sein des SGDF est le suivant :
1) Le CA décide de directions stratégiques à mettre en place
2) Ces positions sont présentées en collège des Directeurices territoiraux.les
3) Ces positions sont ensuite discutées en assemblée territoriale
4) Le collège des Directeurices territoriaux.ales se réunit pour faire des retours sur les discussions au niveau de chaque territoire
5) Le choix stratégique est voté en AG
Le CA intervient à chaque étape pour vérifier que ses propositions seront bien votées en AG. Théoriquement, certains débats pourraient aussi être portés en Assemblée Générale par le système des pétitions mis en place depuis quelques années. Cependant le seuil de signatures étant tellement haut (au moins 10% des adhérent.es de 16 ans et plus issus d’au moins 10% des territoires), cela est rendu quasi impossible. Il s’agit donc d’un fonctionnement très centralisé où le conseil d’administration est dominant et l’Assemblée Générale se résume à une chambre d’enregistrement des décisions prises ailleurs.On pourrait envisager que les journées d’été du mouvement aient lieu avant l’AG pour permettre un réel espace de débat contradictoire sur les propositions votées à l’AG. C’est une proposition basée sur le fonctionnement actuel des Eclaireuses et Eclaireurs Unionistes de France (EEUDF).
Et si on va un cran plus loin : Inversons le processus démocratique ! On pourrait imaginer une fédération des groupes locaux de Scouts et Guides de France (rappelons-le à leur création en 1920 les Scouts de France étaient une fédération) composée de groupes autogérés
Ces groupes pourraient décider ensuite quelles décisions prendre à un niveau regroupé (l’échelon territorial) et à un niveau national (l’Assemblée générale des groupes locaux) quand des décisions structurantes le nécessitent. Cela permettrait de rapprocher les décisions démocratiques des jeunes et des chef.taines et de mettre la priorité sur l’échelon local. Si on continue de penser que le CA doit perdurer, les délégués des groupes locaux qui y siègeront pourraient être élus sur mandat impératif, paritaire et révocable avec une représentativité des différents territoires comme c’est déjà le cas chez les EEUDF pour le dernier critère.
De manière complémentaire, on pourrait imaginer une sorte d’assemblée populaire du mouvement. Celle-ci pourrait faire un point d’étape sur notre projet pédagogique. Le recrutement pourrait se faire par tirage au sort à la fois des jeunes par branche et parmi les adultes qui s’impliquent dans le mouvement.
Alors que la société évolue grâce aux mouvements sociaux et écologiques, il est temps que notre mouvement change radicalement. Sur l’égalité des genres (loin de tout différentialisme !), sur la lutte contre le racisme et les autres formes d’oppression, sur la bifurcation écologique, sur les pratiques démocratiques, notre mouvement doit être en mesure de proposer un autre chemin !
Rédigé par Altermondi après discussion avec des scouts, guides, éclaireurs et éclaireuses de différents
mouvements