14 juin 2022

Les SGDF et la notion de genre

Par allumefeu

La notion de genre a été intégrée au fil des années au sein des supports pédagogiques publiés par les équipes nationales SGDF. En 2009, lors de la publication des premiers manuels pédagogiques SGDF nommés Guide Pour le Scoutisme (GPS), les auteur·ices présentent une différenciation de ce qu’iels définissent comme « les deux sexes opposés » par leur physique, leur personnalité, leurs envies, etc. Sur la dixième page du GPS publié pour la branche Scout-Guide, iels y indiquent qu’une « fille de 14 ans et un garçon de 11 ans n’ont pas les mêmes préoccupations, les mêmes envies ». Iels expriment ainsi l’idée que les filles ayant entre 11 et 14 ans seraient à la recherche « d’intimité, de soutien affectif [et] les garçons [de] complicité ».

Au-delà de ces descriptions/différenciations des personnalités des scouts et guides, la terminologie utilisée est intéressante. En effet, les auteurs·ices utilisent le mot « sexe » à treize reprises pour définir l’identité de genre des jeunes. Le terme genre a été énoncé une fois lorsque les auteur·ices expliquent qu’entre « enfance et adolescence, le saut est grand […]. C’est encore plus vrai quand on ajoute le genre ». Aucune définition n’est donnée de ces deux termes, mais on déduit à travers cette dualité, bien que le mot « sexe » soit utilisé en majorité, l’existence d’un questionnement autour de ces notions.

Ce questionnement a été de nouveau visible quelques années plus tard. On remarque notamment l’organisation, le 8 mars 2012, du colloque Éduquer des garçons et des filles, la question du genre au cœur des pratiques éducatives à Paris, par les équipes nationales du mouvement. Lors de ce colloque, deux spécialistes, Martine Court et Rebecca Rogers, respectivement sociologue et historienne de l’éducation, sont intervenues sur cette problématique. Il ne me semble malheureusement pas qu’il y ait eu de publications écrites.

Cette réflexion portée sur les notions de genre et sexe se remarque ensuite en 2013 lorsque les équipes nationales du mouvement ont publié une « 2ème édition revue et augmentée » du GPS pour l’unité Scout-Guide. Au sein de cette réédition publiée quatre ans plus tard, les auteur·ices indiquent qu’iels ont choisi de « ne pas spécifier les changements selon le sexe afin de ne pas accentuer les représentations caricaturales ». Iels appliquent une pédagogie appuyée sur les « caractéristiques du jeune, et non [sur] le fait d’être de genre masculin ou féminin ». Au-delà de l’utilisation toujours binaire des termes « sexe », mentionné onze fois, et « genre », mentionné deux fois, c’est l’ensemble de la perception du genre et du sexe que les auteur·ices redéfinissent.

Iels décident ainsi de ne plus différencier la personnalité des garçons et des filles sur leur simple sexe ou genre. Iels expliquent qu’établir une différenciation selon les sexes/genres « fait toujours courir le risque du simplisme et de l’étiquetage ». Cette réédition exprime ainsi une nouvelle perception des notions de genre et d’identité au sein des Scouts et Guides de France. Cette représentation se concrétise par une présence croissante de questionnements sur ces notions de genre et de sexualité, au sein du mouvement entre 2010 et 2015.

Homme- Femme, éduquer des garçons et des filles

Cela s’est notamment concrétisé au sein du mouvement en 2014, suite à la constitution du groupe de travail Homme- Femme, éduquer des garçons et des filles ayant pour objectif d’étudier les problématiques liées au genre au sein du mouvement. Ce groupe de travail a été fondé par Caroline Le Gac de Lansalut et Anne-Claire Huet, co-autrices des supports pédagogiques nommés précédemment. Ce groupe de travail a ainsi été à l’initiative de nombreux supports pédagogiques autour de la notion de genre. En 2017, le dossier Une éducation libérée des stéréotypes de genre : mission impossible ? est publié afin de rappeler aux « chefs et cheftaines [qu’iels] ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les stéréotypes de genre au sein de leur unité ».

Cette même année, un article est publié sur le site internet du mouvement pour célébrer la Journée Internationale de la Fille. Dans cet article, le mouvement cite plusieurs recommandations pour mettre fin aux stéréotypes de genre liés aux tranches d’âges. Pour ces dernières, il s’appuie sur différents documents SGDF précédemment publiés mais aussi sur diverses ressources extérieures. Le mouvement des Eclaireurs et Eclaireuses de France (EEDF) et l’Association Mondiale des Guides et Eclaireuses (AMGE) sont ainsi cité·e·s comme références pour lutter contre les stéréotypes de genre.

À la fin de l’article, ce sont deux sources, non liées au scoutisme, qui sont nommées « pour avoir plus d’informations ». L’association du Centre de Liaison des Équipes de Recherche sur l’amour et la famille (CLER) et l’association EnAvantToutes « qui lutte pour l’égalité femmes-hommes et la fin des violences faites aux femmes et aux personnes LGBTQI+» sont citées. Bien que ces deux associations semblent avoir la même volonté de parler de sexualité et de relations, les idées diffusées par chacune d’entre elles s’avèrent profondément opposées.

C’est cette dualité, représentée à travers ces deux liens, qui semble préexister au sein des SGDF. En effet, cela transparaît à travers le développement de questionnements pédagogiques autour de cette notion de genre tout en souhaitant soutenir une pensée traditionnelle de binarité Homme/Femme.

Mise en place de l’outil NonMaisGenre!

En parallèle de ces publications, en 2015, le groupe de travail Homme-Femme, éduquer des garçons et des filles publie l’outil NonMaisGenre!. Cet outil me semble particulièrement intéressant à mentionner dans cet article. Il est présenté sous forme de cartes et propose de mettre en place un débat après la lecture de la carte pour « offrir aux jeunes une occasion de prendre du recul sur […] leurs idées reçues sur leur vécu en termes de corps, sexualité et vie affective, comportements et manières de penser, liés au genre ».

Les thèmes abordés sont divers : la sexualité, les orientations sexuelles, le corps/l’intimité, la vie affective, la pornographie, les abus sexuels et les stéréotypes de genre. À travers la publication de cet outil, on perçoit que les équipes nationales perpétuent cette volonté d’aborder les notions de genre et de sexualité au sein du mouvement. Au-delà de cette volonté, cet outil, mentionné et parfois offert lors des formations BAFA, incite les chef·taines du mouvement à aborder ces thématiques auprès et avec les jeunes.

Pour accompagner ces 52 cartes, les auteur·ices du mouvement ont développé un livret de 56 pages indiquant les réponses à donner lors de la mention de chacune des cartes. Pour répondre aux 16 cartes mentionnant des stéréotypes de genre, les auteur·ices s’appuient notamment sur des études, bien que non sourcées, pour contredire ces stéréotypes. Malgré l’absence de certaines thématiques liées au genre, cet outil semble avoir permis à cette période d’aborder les notions de genre et de sexualité au sein du mouvement SGDF.

2016-2020 : Médiatisation de la « théorie du genre »

Entre 2016 et 2020, très peu de nouveaux documents ont été publiés par l’ensemble du mouvement sur les notions de genre et de sexualité. Cette période qui semble ainsi fermée n’est pas anodine puisqu’elle se situe dans un contexte d’injonctions, de la part de l’Église et d’une partie des catholiques, contre la dite « théorie du genre » et la légalisation de la PMA. Lors de ces mobilisations, le mouvement SGDF n’a pas souhaité y prendre publiquement part, rappelant ainsi sa volonté première de ne pas être un vecteur de positions politiques.

Cependant, différentes critiques ont été émises à son égard durant cette période. On se rappelle notamment de la médiatisation produite par le média Valeurs Actuelles (1) dénonçant la mention de « la cause LGBT » dans une lettre transmise à Michel Blanquer lors du rassemblement Connecte en 2019. Face à ces accusations, les réactions des membres des équipes nationales ont été diverses. Néanmoins une volonté générale a été émise de ne pas se positionner publiquement dans le débat public contre la théorie du genre. Cette décision n’est ni surprenante ni anodine. Elle reflète une volonté de ne pas créer de clivage à l’intérieur même du mouvement sur ces enjeux politiques.

Et maintenant ?

Le genre reste une thématique abordée au sein du mouvement par les chef·taines et les jeunes. L’outil NonMaisGenre! semble ainsi être l’un des supports pédagogiques majeurs pour évoquer ces notions dans le cadre d’activités SGDF. Toujours utilisé par de nombreux·euses chef·taines, il pourrait cependant nécessiter une mise à jour. En effet, différentes critiques peuvent être émises envers l’aspect parfois évident de certaines cartes et l’absence de certains sujets liés au genre ou à la sexualité.

En ne mentionnant que les cartes liées à la notion de genre, on remarque notamment que l’ensemble de ces seize cartes évoque des stéréotypes de genre. Seule une carte fait allusion à l’existence de remarques sexistes. Aucune carte n’a été créée pour d’autres thématiques comme l’existence d’autres identités de genre ou celle d’assignation de genre.

Le genre sous le prisme Diversité&Inclusion

Aujourd’hui, les notions de genre et de sexualité ne sont plus évoquées par le groupe de travail Homme- Femme, éduquer des garçons et des filles qui semble avoir pris fin il y a quelques années. Elles sont désormais abordées par l’équipe nationale Diversité Inclusion, autrice du nouvel outil nommé Les équipes de la diversité publié en 2020.

Cet outil composé de 35 cartes, représentant chacune un·e personnage avec une problématique, aborde sept thématiques différentes. L’une des thématiques est nommée « Affectivité et sexualité » et regroupe cinq cartes : Juliette, homosexuelle ; Inès, bisexuelle ; Kevin, homosexuel ; Luc, témoin de diffusion de vidéos pornographiques dans sa tribu et de Camille, non-binaire qui aborde la question de la binarité des couchages.

Contrairement à l’outil NonMaisGenre!, celui-ci n’est pas accompagné par un livret de réponses à ces problématiques. Les auteur·ices mentionnent que l’objectif de cet outil est de se questionner sur « à quel point [les chef·taine·s et jeunes] seraient désireux et capables d’accueillir le personnage décrit dans la situation ».

Seule la carte de Camille mentionne la notion de genre. Elle aborde ainsi la thématique de l’accueil des personnes non-binaires dans le cadre de week-end et camp scout. Camille raconte ainsi qu’iel est heureux·euse de pouvoir dormir seul·e lors de ces temps scouts. Ainsi, implicitement une réponse est présentée aux chef·taines lisant cette carte et se questionnant sur cette problématique. La mention d’une identité de genre autre que Homme cisgenre/Femme cisgenre est pertinente à souligner.

Cependant, la notion de genre est très peu présente dans ce support pédagogique. Elle est ici seulement définie comme l’une des sources de discrimination parmi toutes celles que peuvent subir les Scouts et Guides. Cela semble ainsi refléter l’objectif de cette équipe « de promouvoir la diversité et la non-discrimination ». Sur le site internet du mouvement, iels font notamment une liste de ces dernières en rappelant que « toutes les différences doivent pouvoir trouver leur place au sein de l’association. Jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, quels que soient leur appartenance ethnique, leur milieu socio-économique, leur philosophie, leurs aptitudes et handicaps, leur langue, leur religion, leur orientation sexuelle, leur secteur géographique, leurs expériences, leurs points de vue, leur état de santé, leur environnement, sont les bienvenus dans l’association. (2) ».

On perçoit ainsi que les équipes nationales du mouvement ont souhaité maintenir cette volonté de ne plus aborder le genre et les orientations sexuelles comme des thématiques centrales de supports pédagogiques. La médiatisation de ces différentes notions semble avoir inscrit encore aujourd’hui cette nécessité pour les équipes nationales du mouvement SGDF.

Cependant, différent·es membres de l’association demandent un engagement plus fort de la part des équipes nationales sur ce sujet. Le 18 février dernier, lors de la mise en place de la plateforme de « droit de pétition pour l’AG 2022 », un·e adhérent·e du mouvement a déposé une résolution nommée « Pour une inclusion effective des personnes LGBT+ aux SGDF » (3). Signée par plus de 250 membres du mouvement, cette résolution appelle les responsables nationaux à la création « d’outils pour les jeunes et les chefs », « de formations dédiées pour les responsables de groupes, les responsables territoriaux et nationaux, ainsi que des ateliers dédiés dans les formations des chef·taine·s » et « la mention explicite de l’inclusion des personnes LGBT+ et du principe de non-discrimination à leur égard dans le plan d’orientation ».

Iels reprochent « le flou qui entoure la position du mouvement sur les questions LGBT+ ». Iels rappellent ainsi que cette demande se situe en adéquation avec les engagements déjà pris par « certains mouvements du Scoutisme Français et également dans les politiques de l’OMMS et de l’AMGE ».
Cette demande souligne ainsi une remise en question de ce positionnement pris par les équipes nationales d’absence de mention publique des notions de genre et d’orientation sexuelle. Aujourd’hui soumise à une étude de recevabilité et au Conseil d’administration, cette résolution pourra être rendue publique et votée lors de la prochaine Assemblée Générale du mouvement. Si elle est acceptée, cette résolution pourra souligner la reconnaissance d’une nécessité d’aborder ces thématiques et de soutenir les personnes concernées, notamment dans le cadre d’un mouvement de jeunesse.

Jeanne

(1) Chevillé, Michel. 2019. Jamboree très gay-friendly chez les Scouts de France. Valeurs

(2) SGDF, Notre politique diversité. Site internet : https://sgdf.fr/nous-connaitre-page/notre-politique-diversite/

(3) Pétition publiquée sur la plateforme pour l’AG 2022, SGDF, 2022 « Pour une inclusion effective des personnes LGBT+ aux SGDF », https://petitions.sgdf.fr/resolutions/pour-une-inclusion-effective-des-personnes-lgbt-aux-sgdf