23 septembre 2021

De la légende du colibri à l’histoire fédératrice de la société des chimpanzés

Par allumefeu

Connaissez-vous la légende amérindienne du colibri, qui a donné le nom à l’organisation du même nom portée par Pierre Rabhi ? C’est l’histoire d’un colibri qui, alors que la forêt est en feu et que les autres animaux sont désemparés, décide de faire des allers-retours à la source la plus proche pour ramener le plus d’eau possible malgré sa petite taille. Souvent l’histoire s’arrête ici pour montrer l’importance de « faire sa part » même quand les autres renoncent. Pourtant, selon certain·es, il existe une fin, le colibri meurt de fatigue et la forêt n’est pas sauvée car il n’aura pas réussi à arrêter le feu. Il y a plus mobilisateur comme légende non ?

Surtout que l’impact négatif de cette légende ne s’arrête pas là. Dans un article du numéro 3 de l’Allume-Feu intitulé « La conversion écologique chez les SGDF », Mama revient sur les limites du mythe des colibris : « Le problème avec cette idéologie c’est qu’elle est tout à fait compatible avec le capitalisme, l’économie de marché concurrentiel et compétitif. Elle concentre la volonté d’action sur l’individu et non sur le collectif. Elle met d’ailleurs les individus en compétition entre eux, qui seront “HALP” [NDLR habiter autrement la planète c’est le nom de la démarche écolo des SGDF] et “pas HALP”, alors que ces individus pourraient se rassembler en collectif pour créer des contre-pouvoirs (comme les marches pour le climat, les actions militantes à l’externe ou les pétitions en interne). En se concentrant d’abord sur l’individu, elle concentre ses forces de changement d’abord contre lui-même, le culpabilisant et créant de la violence contre lui-même et ses proches alors que, pendant ce temps, les collectifs dominants continuent leur “business as usual” empirant chaque seconde l’état catastrophique de la planète. »

Une légende inefficace face à l’urgence climatique

Revenons-en aux faits avec ce graphique de l’organisation Carbone 4, issu du rapport « Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’Etat face à l’urgence climatique ».

Cela montre que si les français et les françaises changent drastiquement leurs comportements individuels (achats, régime alimentaire, transport,…) et investissent dans la rénovation écologique de leur logement (isolation, chauffage,…), cela ne permet de réduire l’impact carbone que d’un quart par rapport aux objectifs fixés par les accords de Paris,  à savoir une baisse de 80% de l’empreinte carbone moyenne pour atteindre les 2 tonnes de CO2 par an et par individu. De plus, le rapport montre que « L’impact à espérer des changements volontaires de comportement individuel, en prenant en compte l’acceptabilité relative du sujet climat dans la population [c’est-à-dire notamment la part réfractaire de la population à tout changement], pourrait stagner autour de 5% à 10% de baisse de l’empreinte personnelle en moyenne. »

A cette affirmation, on me répond souvent « Mais c’est déjà énorme 10 à 25% »/« Pour le reste, ce n’est pas de notre responsabilité »/« Je n’ai pas le temps de m’impliquer plus dans l’écologie alors je fais déjà ma part ». Certes nous avons un temps limité dans nos vies, déjà monopolisé grandement par l’injonction au travail, alors par cet article je voudrais plaider pour une nouvelle manière de penser notre implication dans une perspective écologique.

En effet, si l’on manque de temps, est-ce plus pertinent de trier ses déchets, faire pipi sous la douche et acheter en vrac ou s’investir dans un collectif pour demander à sa ville, son département, sa région, son Etat de ne plus investir dans les énergies fossiles, de développer des modes alternatifs de transport à la voiture, de transitionner vers une agriculture biologique et végétarienne ? Certain·es me répondront peut-être qu’il faut d’abord que les personnes changent pour un changement systémique. Je ne le crois pas. Si l’on suit cette logique alors on laisse, à court terme, la gestion éminemment politique de la question écologique à des élu·es qui ne font pas ce sur quoi iels s’étaient engagé·es. La preuve avec Emmanuel Macron qui avait promis de reprendre les propositions de la convention citoyenne pour le climat sans filtre et qui finalement n’en reprendra qu’une infime portion bien loin des résultats attendus.

Alors me direz-vous, quel est le rapport avec le scoutisme ? Nos mouvements sont des organisations politiques non-partisanes, dans le sens où elles portent une vision de l’organisation de notre société. Elles peuvent donc être un des terrains d’engagement vers un modèle de société compatible avec une bifurcation écologique majeure.

Créer du collectif via l’histoire des chimpanzés

Sans être une solution miracle, loin de là, penser une lutte écologique collective peut être fédérateur au sein du scoutisme. Mais sur quelle histoire fonder alors cette mobilisation ?

En cherchant un peu je suis tombé sur une découverte majeure concernant le rapport des animaux au feu. Contrairement à tous les autres animaux excepté les humains, une étude montre que les chimpanzés savent conceptualiser le feu. Alors que les autres espèces seront désemparées à l’approche d’un feu et agiront sous la panique, les chimpanzés gèrent la première étape de la maîtrise du feu (les deux autres étapes étant savoir l’allumer et l’éteindre) : ils arrivent à observer, réfléchir et agir en conséquence face à l’évolution d’un feu.

Si nous transposons cela à la situation climatique actuelle et cherchons à réfléchir sur cette base, il apparaît alors que les gestes individuels ne peuvent pas et ne doivent pas être l’Alpha et l’Omega d’une réflexion écologique au sein du scoutisme, et plus généralement au sein de notre société, mais qu’ils sont un moyen à questionner.

Pour le dire autrement, par cet article, je ne veux pas nous pousser à abandonner toute recherche de cohérence dans nos gestes individuels mais plutôt à choisir ceux qui sont pour nous riches de sens et d’impact pour en délaisser d’autres aux profits de mobilisations plus collectives.  A titre d’exemple, la transition vers un régime végétarien ou végétalien est un choix individuel et un choix extrêmement pertinent pour les mouvements scouts, guides, éclaireurs et éclaireuses en comparaison par exemple avec le fait de changer de gourde. Comme le montre le rapport de Carbone 4 précédemment cité, le passage à un régime végétarien « représente à lui seul 10% de baisse de l’empreinte, soit 40% du total de la baisse maximale induite par les changements de comportements [individuels] étudiés. »

S’inspirer des chimpanzés face au feu, c’est aussi considérer que notre objectif n’est pas de sauver la Terre ou de protéger l’environnement, la Terre survivra à notre extinction et notre vie sur Terre détruit forcément l’environnement, mais de penser comment réduire notre impact sur le reste du vivant et mettre fin à l’extinction de masse des espèces dont notre mode de développement est la cause.

Observer, réfléchir et agir c’est aussi refuser les réflexions simplistes qui pointent le problème sur la croissance démographique alors que c’est le modèle de développement occidental basé sur un système économique capitaliste néolibéral, la prédation des ressources dans les territoires colonisés imbriquée au racisme, classisme et patriarcat qui détruisent nos écosystèmes.

Alors, pour conclure, souhaitons-nous d’être face à l’urgence écologique, non pas comme des colibris à se culpabiliser de ne jamais en faire assez dans notre coin mais comme des chimpanzés face à un feu, en capacité d’observer, de réfléchir et d’agir en conséquence collectivement !

Altermondi