23 septembre 2021

Parler politique avec les jeunes ?

Par allumefeu

Flash-back : j’ai 17 ans, je suis responsable loups (8-12 ans), c’est le temps calme. Quelques loups discutent. De la violence. Est-ce qu’il faut “rendre un coup” ? Comment juger si un coup “rendu” est « équivalent » au coup reçu ? Pourquoi, alors que ça leur semble logique de “rendre” un coup pour clore une bagarre entre jeunes, ce n’est jamais la solution proposée par les responsables pour régler ce type de conflits ? Je suis dans mes pensées, profitant de ces quelques minutes de tranquillité, que toustes ceux et celles qui ont déjà encadré cette tranche d’âge savent apprécier pour leurs raretés. La discussion se poursuit : si les responsables n’utilisent jamais la violence pour régler un conflit, force est de constater que la police, elle, si. Mais alors, de quel droit la police fait elle usage de la force physique ? poursuivent des louveteaux.vettes, décidément à deux doigts d’écrire dans l’Allume-Feu. On me demande mon avis. Alors, pour paraphraser Baden-Powell : que faire ?

Une question régulièrement posée

Tout.e responsable s’est déjà retrouvé.e dans une discussion avec les jeunes sur des considérations politiques. C’est parfois inconfortable : on a certes envie de donner notre avis mais on sait aussi que la pente vers l’endoctrinement est glissante, vu le poids qu’on peut avoir vis-à-vis des jeunes. Nous sommes souvent des modèles pour elles et eux et parfois iels boivent nos paroles. De façon générale, avec parfois une dizaine d’années de plus que les enfants que nous encadrons, nos réflexions et arguments sont souvent plus affûtés que les leurs, surtout sur des sujets qui nous touchent et/ou que nous maîtrisons.

Ceci étant dit, nous répétons régulièrement que nous voulons leur transmettre des valeurs et développer leurs esprits critiques, la discussion, le débat, la confrontation d’arguments, de points de vue, y compris quand on “perd” un débat. Participer au débat devient donc riche de sens dans cette perspective.

Cet article n’a pas vocation à donner un mode d’emploi définitif mais à livrer quelques expériences et enseignements que l’on peut en tirer.

On veut participer, ok, comment ?

Le plus important c’est d’avoir conscience du poids qu’on peut avoir et d’agir en conséquence. C’est-à-dire qu’il faut choisir entre avoir une position de médiation et participer à la discussion. Faire les deux en même temps c’est avoir une voix trop importante.

Comme médier une discussion

Si l’on fait le choix de la médiation (et donc de ne pas participer sur le fond, ou presque), il est nécessaire d’être strict.e sur le fait de ne pas laisser les enfants couper la parole et d’essayer d’équilibrer au maximum le temps de parole, notamment vis-à-vis des filles et des personnes particulièrement concernées par le sujet évoqué. Pour aider à clarifier, on peut demander aux enfants de ne donner qu’un argument à la fois et de ne pas hésiter à le reformuler avec elleux, en disant notamment “si j’ai bien compris, tu veux dire que …” et bien sûr en leur laissant la possibilité réelle de dire que ce n’est pas tout à fait ça qu’iels voulaient dire. Ce n’est pas forcément évident au début mais ça se fait bien, surtout si on a une relation de confiance. Il faut aussi avoir une attention particulière aux ressentis des différent.e.s participant.e.s à la discussion, essayer de voir si des enfants se sentent mal à l’aise, etc.

C’est le choix que j’ai fait lors de la discussion avec les loups : ne pas intervenir sur le fond mais avoir une place importante de gestion de la parole.

Participer à une discussion informelle

Une autre fois, quelques années après la première anecdote, je m’occupais d’enfants plus grands. On déjeune à 6 ou 7, et nous parlons des inégalités sociales : pourquoi y a-t-il des riches et des pauvres ? Surtout : que faire ? Nous sommes peu, on me demande explicitement mon avis, d’autant qu’il est de notoriété publique que je suis un peu de gauche, je ne peux pas me débiner.

Si l’on décide d’intervenir, il faut s’obliger à placer le plus de garde-fous possibles et imaginables. Cela commence par séparer autant que possible, les croyances des opinions et des faits. Certes, les frontières entre ces catégories sont parfois floues, mais faire ce travail de clarification ne peut qu’aider à la compréhension générale. Par exemple, quand on parle, commencer par “c’est mon avis blabla” et bien séparer de “là j’expose un fait”. Demander aux jeunes de faire le même exercice est aussi efficace. Dans la même veine, il faut essayer de garder le plus possible un cadre de discussion et non de débat. Nous avons toutes et tous l’imaginaire colonisé par les débats politiciens à la télé aux noms évocateurs comme “le Duel” et autres “clashs”. Il faut éviter cela au maximum : nous discutons ensemble pour trouver une solution ensemble, pas les un.es contre les autres. À ce titre, il est bon de demander aux enfants de ne pas commencer une phrase par “je ne suis pas d’accord avec Bidule”, mais juste d’exposer ses arguments. Dans une discussion, ce n’est pas grave si nous n’avons pas de conclusion finale et si personne n’a “gagné” ou “perdu”.

La question à mille euros : faut-il sortir des généralités ?

La solution “facile” et tentante, quand un enfant nous demande notre avis, peut être d’en rester sur des conceptions assez vagues et, sommes toutes, assez consensuelles. Dans l’exemple cité plus haut, on pourrait dire que ce serait quand même super chouette si les pauvres étaient un peu moins pauvres, tout en évitant d’entrer en profondeur dans les raisons de la pauvreté jusqu’à imaginer avec les jeunes les contours d’une société communiste-anarchiste, sans pauvres ni riches, sans argent ni État.

En fonction de l’âge, de la sensibilité de chacun.e, de la proximité avec les jeunes, du cadre, etc. je suis plutôt partisan de ne pas faire mystère de ses convictions. En les présentant comme telles (des convictions) et non des faits, en précisons bien que tout le monde n’est pas forcément d’accord, y compris au sein de la maîtrise. Mais n’ayons pas peur des mots. Cela rejoint les remarques de l’article “Comme un malaise” du numéro 2 de l’Allume-Feu : les jeunes qui manifestent le samedi sont les mêmes que nous avons le dimanche en forêt. Il a pu même arriver à certain.es d’entre nous de croiser des jeunes en manifestation ! Iels ont soif de politique, et c’est tant mieux. Ajoutons que nombreux.ses sont parmi nous ceux et celles qui se souviennent d’un.e responsable (ou d’un.e prof parfois) avec qui des discussions profondes ont apporté beaucoup. Pourquoi ne pas être cette personne ?

La limite n’est pas nette entre ce qui est “discuter ouvertement de ses idées” et ce qui est de l’endoctrinement, certes, mais une autre question mérite aussi d’être posée :

Ça veut dire quoi, au fait, “politique” ?

La moitié de nos jeux sont fondés sur l’écologie, nous animons des discussions autour des questions d’égalité filles-garçons, cela nous choquerait qu’un.e responsable frappe un enfant pour le punir, nous n’avons de cesse de nous gargariser sur les valeurs que nous défendons et que nous souhaitons transmettre aux jeunes, etc. Ce n’est pas politique tout ça ? Répondre “non” traduit une conception erronée de ce qu’est (ou doit être) la politique.

Nous avons souvent peur des grands mots, des idéologies, des mots en -isme. Même s’il y a un retour du politique dans nos sociétés depuis quelques années, la bourgeoisie tente, depuis les années 80, de la dépolitiser : on entend régulièrement parler de “gouvernement de technocrates” (entendre “de banquiers”) et surtout le célèbre “il n’y a pas d’alternatives”. S’il n’y a pas d’alternatives, alors il n’y a pas de politique. Et vient rapidement dans l’idée que la politique c’est sale.

La politique, ça divise, alors qu’on a besoin de se rassembler, non ? Non.

Au contraire, la politique c’est comment nous voulons vivre collectivement, c’est la base de notre projet scout. La politique c’est le dissensus, c’est vivre ensemble malgré des différences. Mais pas en mettant ces différences sous le tapis, au contraire. La politique c’est la gestion des conflits. Il faut donc transmettre aux jeunes l’idée qu’il y a des gens différents qui ont des idées différentes, que nous pouvons (et devons) agir sur le monde et que parmi ces idées différentes, nous avons le droit de ne pas toutes les accepter.

Alors parlons politique avec les jeunes, gardons-nous à la fois de l’endoctrinement et du relativisme. Nous ferons des erreurs, évidemment, mais nous aussi nous sommes là pour apprendre !

Rossignol