« Le SNU ne va pas en faveur de l’émancipation des jeunes » : interview de William Petitpas pour le Forum Français de la Jeunesse
William est membre du comité d’animation du FFJ (l’équivalent de son bureau). Il est aussi secrétaire national du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC).
Peux-tu expliquer ce qu’est le Forum Français de la Jeunesse (FFJ) ?
Le FFJ réunit des assos gérées et animées par des jeunes, des syndicats étudiants et lycéens, et des partis politiques jeunes. La coordination est trans-partisane. Il est né en 2012, on fête ses 10 ans ! Il a été créé à l’initiative du MRJC, de la JOC, d’Animafac et ensuite d’une quinzaine d’organisations, pour porter la voix des jeunes dans l’espace public.
Pour être membre du FFJ, il faut que la structure soit gérée et animée par des jeunes, avoir une gouvernance jeune, un caractère national ou transrégional à minima, et respecter une charte des valeurs qui exclut les orga’ d’extrême droite.
Notre objectif, c’est de travailler ensemble auprès des pouvoirs publics, ministères et collectivités locales, pour agir sur les politiques jeunesses depuis le point de vue de jeunes organisés. On donne des avis sur la
place des jeunes dans la démocratie, la santé des jeunes, l’accès à emploi des jeunes, les jeunes et l’Europe, la mobilité des jeunes,… Nos mobilisations sont aussi au moment des élections, avec des préconisations. La gouvernance du FFJ est basée sur un CA avec toutes les orga’, et d’un comité d’animation avec 2 personnes par type de structure : collège des partis jeunes, collège des syndicats, collège des assos.
Le FFJ a pris tôt position contre le SNU, est-ce que c’était une évidence ?
Non, ça n’a pas été une évidence. C’était avant que j’arrive (la spécificité des orga’ de jeune c’est que ça tourne assez vite, les responsables sont en poste en moyenne pour 2 ans). Le MRJC, dont je fais partie, a poussé assez tôt, avec d’autres, au sein du FFJ pour une prise de position contre. Ça n’a pas été vu comme un problème par tout le monde au début : il y a des sensibilités politiques différentes au sein du FFJ, et la prise de position est à la majorité des 3/4. L’UDI jeune fait partie du FFJ, les jeunes Républicains en ont fait partie et l’ont quitté, certaines orga’ se sont dit on peut participer pour changer le
SNU avant de prendre position contre… en plus c’est arrivé en plein COVID, ça a expliqué en partie que ça prenne du temps. Aujourd’hui, c’est une position sans plus trop de résistance, mais des orga’ l’ont moins
porté.
Quelles sont les principales raisons de l’opposition au SNU pour le FFJ -notamment par rapport aux autres organisations qui sont contre ?
Au FFJ, on plaide pour une vraie politique de jeunesse transversale qui accompagne les jeunes dans leur parcours très large : autant professionnel que dans leur parcours de vie, l’accès aux mobilités, l’engagement, pour lutter contre la précarité… On veut une vraie ambition qui sorte des silos. Par exemple, c’est le Ministère du Travail qui lutte contre la précarité des jeunes, l’Éducation Nationale
qui porte la dimension engagement…, on essaye de faire en sorte que ça agisse de manière plus concertée et ambitieuse.
Le SNU est une des formes de politique jeunesse qui mobilise un gros budget, et qui ne va pas en faveur de l’émancipation des jeunes. Le SNU vise à ce que des jeunes soient au service de la République. C’est l’idée que les jeunes « doivent » quelque chose à la Nation. Ça nous pose question. Les objectifs affichés, c’est la mixité sociale et le fait que les jeunes puissent sortir de leur famille et de l’école pour rencontrer d’autres jeunes, et de renforcer la citoyenneté. On partage ces objectifs mais pas la mise en œuvre et la méthode : uniformes, levée de drapeau, décorum. Ça nous interpelle sur ce qu’on cherche à faire avec le SNU.
Et la volonté de tendre vers un SNU obligatoire ?
L’obligation nous révolte. Des séjours de cohésion c’est quelque chose qui peut être souhaité par des jeunes, on le reconnait, mais par contre la généralisation à toute une classe d’âge c’est quelque chose contre lequel on a envie de se battre.
Vous faites partie d’un collectif d’associations qui veulent promouvoir des alternatives (“Jeunesses, citoyenneté, émancipation”), peux-tu en dire plus ?
Le MRJC en fait partie, c’est un collectif informel depuis un an et demi, avec plusieurs organisations qui sont d’accord pour être contre. On veut promouvoir d’autres manières de mettre en œuvre ces objectifs, travailler à des expérimentations avec les collectivités partantes. Pour le moment c’est à l’état de réflexion. Penser une alternative au SNU peut être problématique, l’idée n’est pas de faire un peu pareil en différent mais de penser radicalement autre chose.
Avez-vous le sentiment que sur la forme ou le fond du SNU, des choses évoluent ? Êtes-vous plutôt optimistes ou pessimistes pour la suite ?
C’est sûr que ça a évolué. On a eu une rencontre il y a un mois avec Sarah El Haïry, elle dit que le SNU de 2017-2019 n’est pas le même que le SNU 2023, ils disent avoir appris de leurs erreurs. Mais on a l’impression d’un double discours : la secrétaire d’État dit qu’il y a une évolution, que ça n’est pas militaire mais on observe son rattachement et celui du SNU au ministère des armées. C’est un rapprochement qui est fait.
Nous avons eu un échange avec un membre du cabinet Borne qui parlait de guerre en Europe, qu’il fallait se préparer face à ça [en lien avec le SNU, ndlr]. Il y a un double discours : renforcer la citoyenneté et cohésion sociale d’un côté et de l’autre, il y a cette envie d’avoir une première approche militaire pour des jeunes d’une même classe d’âge.
Sur le terrain, il y a une disparité dans les séjours suivant qui le met en place. Dans certains lieux, l’organisation est concertée avec les assos d’éducation populaire et les services déconcentrés de l’État, c’est organisé dans d’anciens lieux de colonies de vacances. À d’autres endroits, c’est organisé par les pompiers, la police, dans des casernes. Ces séjours n’ont pas la même valeur, pas le même caractère symbolique et politique.
Une des motivations officielles du SNU est de renforcer l’engagement des jeunes. Le FFJ défend à juste titre que les jeunes sont déjà très engagé·es associativement ou syndicalement. Avez-vous des revendications pour faciliter ou élargir cet engagement ?
Plusieurs propositions : le droit de vote à 16 ans accompagné par les institutions scolaires peut être un vrai éveil à la citoyenneté. Pas juste un abaissement de l’âge, mais aussi un accompagnement à travers l’école, ça va avec le renforcement de l’éducation morale et civique, à appeler autrement, mais aussi une
vraie formation des profs sur ces modules-là. Il y a aussi le fait de favoriser l’intervention en milieu scolaire des orga’ d’éducation populaire et orga’ de jeunes. Nous ce qu’on porte c’est l’éducation par les
pairs : on peut être plus à même de parler à des collégiens et lycéens. Il y a le besoin d’une meilleure coordination entre Éducation Nationale et éducation populaire.
Quels sont les autres principaux axes de plaidoyer du FFJ ?
En 2023, l’idée c’est de publier un avis sur la précarité des jeunes sur la base d’enquêtes, de travaux de chercheurs et avec des préconisations opérationnelles. On porte l’extension du RSA aux personnes de moins de 25 ans, mais pour aller plus loin il y a un désaccord au sein du FFJ sur ce qu’on vise plus exactement. Par cet avis sur la précarité, on parle de précarité économique mais aussi de précarité alimentaire, de santé mentale, de logement.
On est un réseau de jeunes experts en politique jeunesse, et le but est d’être auditionnés parle CESE**, le Parlement,… On a été invité à participer au Conseil National de la Refondation et on est préoccupé et occupé par ça et la mise en place d’un CNR spécial jeunesse. C’est beaucoup d’esbroufe mais il n’y a tellement rien eu ces dernières années en termes de dialogue avec les corps intermédiaires… c’est très dur de savoir ce que ça va donner, mais c’est déjà bien de parler avec les autres orga’. On y va avec prudence.
Propos recueillis par Altermondi
* Notons que pour l’instant, les volontaires SNU sont le plus souvent issu·e·s de milieux favorisés ou très favorisés et que les enfants d’ouvrier·ère·s ou d’employé·e·s sont sous-représentés (source : INJEP)
** Le CESE c’est le « Conseil Economique Social et Environnemental » : c’est la troisième chambre de la République, composée de corps intermédiaires, autrement dit « société civile organisée », c’est 172 associations et syndicats nommés parle premier ministre. Le CESE a une fonction consultative seulement, optionnelle ou obligatoire dans le cadre du processus législatif.