De l’inclusion dans nos mouvements
Dans ce journal, on a vu passer de supers articles sur tout un tas de sujets bien cools, mais pour l’instant, je n’ai rien vu sur le handicap. Et en matière de handicap, j’ai l’impression qu’on est parfois un peu à la ramasse.
Il y a une loi sortie en 2005 (qui s’appelle la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) qui, entre autres, instaure le droit d’accès aux loisirs pour les enfants en situation de handicap[1]. Ça paraît aller de soi, personne n’oserait refuser un enfant sous prétexte d’un handicap ! Pourtant, si une loi là-dessus existe (votée sous Chirac en plus), c’est que le problème a été relevé à un moment ou à un autre. Et en effet, les enfants en situation de handicap représentent 1,9 % de leur classe d’âge, mais seulement 0,28 % des inscrits en accueil de loisirs sans hébergement[2] (ALSH). Un petit calcul nous permet de dire que seulement 14 % des enfants en situation de handicap fréquentent donc un ALSH, contre 80 % pour les 3-11 ans en général. Je n’ai pas trouvé de chiffres sur le scoutisme en particulier (et si vous en avez je suis preneur !), mais je doute fort que nous soyons des modèles d’inclusion.
Mais alors, qu’est-ce qui rend l’inclusion si compliquée ?
L’impression que j’ai eue, en discutant avec des collègues respos, c’est avant tout que le handicap fait peur : « ah oui, on est trop partant.es pour accueillir un enfant handicapé, mais on n’a jamais fait, on est pas formé.es ». Première chose dérangeante avec ce positionnement, c’est la formulation handicapé : on attache un problème à l’enfant (qui n’a rien demandé), et on se dit qu’iel sera plus compliqué.e à gérer, que ça nous posera forcément des difficultés. La formulation en situation de handicap, même si elle a l’air de jouer sur les mots, ramène le handicap à l’environnement (cf. encadré), et change de suite la problématique.
La nuance peut paraître fine, et on a parfois un peu l’impression de jouer sur les mots en s’embêtant à rajouter des mots pour au final dire la même chose. Pourtant, cette nuance est vraiment au centre de la démarche d’inclusion. Dire de quelqu’un qu’iel est en situation de handicap, c’est enlever la responsabilité de cette personne pour la reporter sur un environnement pas ou mal adapté.
Par exemple, quand je suis parti en vacances dans un pays balte (où en général, la langue internationale est le russe pour les plus de vingt ans), j’étais incapable de me faire comprendre ou de comprendre qui que ce soit, à l’exception des quelques anglophones (et encore plus rares hispanophones) que j’ai pu croiser. Dans un autre environnement, je suis pourtant complètement capable d’avoir une discussion et d’échanger du sens avec d’autres personnes. Je me suis donc bien retrouvé dans une situation de handicap.
Le raisonnement est le même pour tout le monde : en créant un environnement adapté aux besoins de chacun.e, on a par définition un environnement dans lequel n’importe qui peut évoluer, quel que soit sa condition.
On m’a déjà dit qu’utiliser cette formulation, c’était refuser d’appeler un chat un chat, et qu’il est évident que certaines personnes sont handicapées. Pourtant, il est important de se rappeler que le handicap est toujours défini par rapport à une norme (la norme imposée par les personnes « valides ») : au pays des aveugles, les borgnes seraient sûrement des espèces d’illuminés qui passeraient leur vie à essayer d’expliquer les couleurs à leurs congénères plutôt que des rois… Ou encore, demandez à un poisson de grimper à un arbre, etc, etc.
Enfin, le langage évolue, et le sens des mots avec : pas grand monde n’était choqué quand on parlait d’attardé.es il y a quelques années de ça pour désigner les troubles cognitifs, mais vous reconnaîtrez qu’aujourd’hui, ça fait un peu mauvais genre.
Ensuite, on parle quand même d’un enfant, qui a donc les mêmes besoins de base que tous les autres : boire, manger, dormir, se laver (sécurité physique tu coco), avoir de l’affection, s’amuser, etc (sécurité affective tu coco). Satisfaire ces besoins, c’est ce qu’on fait avec un groupe plus ou moins nombreux à chaque week-end/camp/rencontre ! Et on est déjà à l’aise avec l’idée que chaque enfant a des besoins différents en termes de sommeil, de nourriture, d’activité physique, de câlins… Alors où se situe réellement la « différence ».
Sans se voiler la face, il est vrai qu’on peut se retrouver confronté.e à des situations et des besoins inhabituels (on aime bien parler de besoins spécifiques). Comment s’adapter si un.e jeune a besoin d’être accompagné.e pour s’exprimer, se laver, se déplacer, gérer ses émotions ? C’est là qu’une formation pour l’équipe peut être utile. Et des formations, il y en a en pagaille : dans chaque département, il existe un service pour l’inclusion en accueil de mineurs, souvent une association qui a répondu à un appel d’offres, qui peut proposer des formations et des ressources pour se rassurer avant une démarche d’inclusion.
Et au final, rien de bien sorcier : la phrase qui m’a le plus marqué de la part d’une formatrice, c’était quelque chose comme « En fait, on n’a jamais besoin de connaître le nom exact du handicap dont il est question, ça risque plus de nous amener des idées préconçues plus qu’autre chose. La seule chose nécessaire pour bien accueillir un enfant, c’est de connaître ses besoins ». Réfléchir aux besoins des enfants qu’on accueille, et à comment adapter l’environnement en fonction, c’est une démarche très intéressante en tant qu’équipe. On pense toujours aux besoins « de base » en installant un coin repas, des tentes pour dormir, des points d’eau… mais est-ce qu’on a prévu une solution si quelqu’un.e a du mal à exprimer ses émotions ou sa fatigue sans un outil visuel ? A besoin d’intimité pour changer de vêtements ? Avec mon équipe, on s’est rendu compte (trop) récemment qu’on n’avait jamais anticipé ce dernier besoin pas si spécifique que ça. Vous avez sûrement déjà quelques solutions qui vous viennent à l’esprit, et si c’est le cas, alors bravo ! Vous avez déjà toutes les billes pour accueillir à peu près n’importe qui.
La démarche est toujours à peu près la même : on identifie des besoins, on réfléchit à la meilleure manière de les satisfaire en adaptant l’environnement (car il est en général assez compliqué de demander à un enfant de supprimer un de ses besoins). La formulation en situation de handicap prend alors tout son sens : le handicap n’existe pas dans un environnement réfléchi et adapté pour répondre aux besoins de tout le monde !
Bref, j’espère que ces quelques lignes pourraient vous donner l’envie d’accueillir un peu plus de diversité dans vos groupes (et on pourrait parler longtemps de diversité !), de rencontrer encore plus d’enfants que ceux que vous connaissez déjà, et de leur faire kiffer les camps/week-ends comme vous savez très bien le faire (j’espère !). On a un monde trop cool à explorer et découvrir, sauf qu’en fait c’est le vrai monde dans lequel on vit 🙂
Mayo
[1]En fait, le droit aux loisirs fait partie de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. La loi de 2005 vient appuyer le droit des enfants en situation de handicap… de bénéficier des mêmes droits que tout le monde.
[2]Chiffres de la Mission Nationale Accueils de Loisirs & Handicap