31 janvier 2023

SNU : brown-flag

Par allumefeu

Cet article se base sur une visite au centre SNU de Jambville en juin dernier, et sur des entretiens avec trois tuteur·ice·s et deux volontaires (trouvé·e·s sur les réseaux sociaux ou au hasard de mes rencontres)

Une ambiance para-fasciste

Plusieurs aspects du SNU, pas forcément alarmant lorsqu’on les prend isolément, peuvent dessiner ensemble une ambiance qu’on qualifiera de para-fasciste (c’est un peu le principe du red flag, mais comme le fascisme est traditionnellement associé au brun, disons plutôt : brown-flag). Il y a plein de brown-flag, je n’en cite que deux.

Brown-flag : une obsession pour l’uniformité. Les tenues SNU portées quotidiennement et l’interdiction du maquillage, des bijoux ou des piercings dans certains règlements intérieurs sont censées gommer les différences individuelles et sociales. La marche en rang et les punitions collectives font agir le groupe en chœur. On retrouve également ce souci d’uniformité au niveau des régimes alimentaires, avec l’absence délibérée d’alternative halal pour les volontaires musulman·e·s – le SNU se fait de la laïcité une conception islamophobe et compte ainsi « lutter contre le séparatisme » (comprendre : « rééduquer les indigènes »)

Brown-flag : une omniprésence du sport (associée à un souci constant de ponctualité et de vitesse d’exécution). Le sport, distingué de l’activité physique proprement dite, est en effet assez critiquable dans sa dimension éducative : tel qu’il est imposé à la jeunesse, il valorise l’esprit de compétition, la notion culpabilisante de mérite personnel, les démonstrations de virilité (par exemple, les pompes en guise de punition que certains volontaires exécutent avec un enthousiasme non dissimulé), et dévalorise les corps qui s’écartent des normes.

Une opportunité de propagande auprès des jeunes pour l’Armée et l’État

L’Armée occupe une place de choix dans le dispositif du SNU : on retrouve dans les équipes de direction et parmi les cadres nombres de militaires retraités et de réservistes. C’est une position d’autant plus influente que la direction est chargée du recrutement des tuteur·ice·s et décide de la programmation du séjour, et que les relations entre la direction et les cadres d’un côté et les tuteur·ice·s de l’autre peuvent être assez hiérarchiques. En outre, les interventions de « corps en uniforme » (militaires, gendarmes, policiers…) font partie des éléments obligatoires des séjours SNU (s’y ajoutent les interventions éventuelles d’institutions proches de l’Armée, comme l’Office National des Anciens Combattants).

L’Armée, et plus généralement l’État, profitent donc du SNU pour dérouler leur propagande. Pendant la « Journée Défense et Mémoire », des volontaires sont par exemple amené·e·s, dans le cadre du jeu de plateau Décision Défense, à se mettre dans la peau des décideurs stratégiques qui « défendent les intérêts de la France dans le monde » et « préviennent les menaces géopolitiques et terroristes » au niveau international : il est clair que les considérations internationalistes, les critiques de l’interventionnisme français ou de la doctrine de guerre préventive ne sont pas les bienvenues. Les visites sur des « lieux de mémoire » représentent d’autres moments potentiellement propices à la transmission du roman national ou à l’héroïsation des soldats.

Pendant leurs interventions, les militaires et les gendarmes ont tout le loisir de montrer leur équipement, de raconter des anecdotes, de prêcher l’importance de « défendre sa patrie » – bref, de faire leur pub en rendant la guerre cool et le nationalisme stylé ; les policiers, pas en reste, peuvent faire essayer leurs armes aux volontaires, déplorer le manque de respect pour les forces de l’ordre, et se plaindre du sous-effectif. On m’a encore raconté l’intervention de hauts fonctionnaires et d’élus chantant les louanges de l’Union Européenne. Il ne s’agit pas simplement de faire découvrir des institutions aux volontaires mais bien de les défendre, en ne présentant une institution que du point de vue bien sûr favorable de l’institution elle-même, et de mettre en avant leurs valeurs – on les connaît bien, les valeurs des « corps en uniforme » : les militaires, les gendarmes et les policiers votent massivement pour l’extrême-droite.

L’influence idéologique des acteurs du SNU peut également passer (de façon plus subtile) par les temps de « démocratie interne » : les volontaires sont invité·e·s à débattre ensemble sur des sujets politiques prédéfinis par l’équipe encadrante, ce qui lui permet d’imposer ses thèmes de prédilection. La proposition de certains sujets et des défauts de modération laissent parfois le champ libre à des discours réactionnaires portant par exemple sur la supériorité masculine ou le retour de la peine de mort.

Conclusion

Il est clair que le SNU, dans sa forme actuelle, ne forme pas des combattant·e·s (encore heureux). Mais ce qui doit nous inquiéter, c’est qu’il risque de faire consentir un peu plus la jeunesse aux violences de la police et à l’impérialisme français en lui donnant une image sympathique des policiers et des militaires, de sorte qu’il y ait encore moins de résistance à la prochaine loi pro-flic ou à la prochaine opération de l’armée française dans un pays du Sud. Une étude de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (octobre 2021) nous dit que 82 % des jeunes de la génération Z ont confiance en l’armée : la situation est déjà grave, il faut stopper la vague militariste.

On m’objectera que le SNU n’est pas obligatoire, qu’il ne semble pas près de le devenir, et qu’ il ne concernera donc que des jeunes acquis·e·s d’avance à sa cause. Il est vrai que beaucoup de volontaires s’inscrivent justement parce qu’iels s’intéressent aux « corps en uniforme ». Mais n’oublions pas non plus ces nombreux volontaires qui s’inscrivent pour bien d’autres motifs : améliorer son CV, optimiser ses chances sur Parcoursup, passer le code de la route gratuitement, remédier à un décrochage scolaire, faire de nouvelles rencontres, faire du sport, voir du pays, ou tout simplement profiter d’un séjour gratuit ; et il faut encore ajouter les jeunes inscrit·e·s de force par leurs parents (« les militaires ça te fera pas de mal »). Le SNU vise d’ailleurs à élargir son public, notamment en direction des jeunes des classes populaires. Il bénéficie pour cela d’une importante publicité dans les lycées, et on commence à parler d’un financement du permis pour les volontaires afin d’attirer davantage.

Enfin, même s’il n’est finalement pas rendu obligatoire par le gouvernement actuel, que deviendra le SNU entre les mains des gouvernements suivants, qui auront peut-être des gages à donner à l’extrême-droite, ou pire, qui seront peut-être eux-mêmes d’extrême-droite ? Je n’ose l’imaginer, mais il y a là un argument de plus en faveur de l’abandon complet du dispositif.


Eli Rhamba