14 juin 2022

Sexisme en camp

Par allumefeu

On est en avril 2018 et la Caravane (nom de l’unité des 14-17 ans aux SGDF) coéduquée dont je fais partie se compose d’une quinzaine de garçons et de seulement quatre filles. Sur proposition de nos chefs (terme employé car il s’agit exclusivement d’hommes) – qui sont alors trois bons copains d’environ 23 ans et ayant fait toutes leurs années scoutes ensemble – nous nous jumelons pour le camp avec une Caravane autonome : huit filles super motivées pour partir avec nous faire un camp de deux semaines en Bretagne.

Jusqu’ici tout va bien, on réussit même à recruter une cheftaine qui n’a pas d’expérience dans le scoutisme mais a pour elle (entre autres) de féminiser un petit peu la maîtrise (groupe des chef-taine-s nous encadrant).

Mais alors que le camp commence, je me retrouve rapidement en confrontation avec mes chefs, estimant leurs comportements injustes envers nous, les filles. En effet, les multiples remarques « humoristiques » – provenant principalement des trois chefs – tournant les filles en dérision (est-ce encore utile de donner des exemples ?) me donnent le sentiment que la posture des chefs n’est pas adéquate et ne correspond pas à ma vision de la coéducation (qui, à l’inverse de la mixité, doit prendre en compte la différence entre les filles et les garçons et agir de manière adaptée avec chaque jeune).

Ici, le modèle masculin est pris comme la norme et nous, les filles, devons-nous y adapter (dans le cadre de jeux nécessitant une certaine force physique par exemple, ce qui nous désavantage par rapport aux garçons). En outre, la nouvelle cheftaine est très mal intégrée au reste de la maîtrise ce qui, selon moi, est représentatif de l’ambiance générale du camp. Par la mise à l’écart de notre cheftaine, j’ai alors l’impression que nos chefs écartent la figure de la Femme du camp.

Mes efforts pour discuter avec mes chefs sont vains et leurs comportements ne changent pas. Nous en discutons entre filles dans nos équipes, mais il semble alors que je sois la seule à vivre aussi mal ces remarques et échanges. Les autres Caravelles (nom des filles dans la tranche d’âge des 14-17 ans aux SGDF) passent l’éponge et ne souhaitent pas affronter les chefs. Pire pour moi, elles rient aux « blagues » et adoptent certains comportements leur permettant de rentrer dans le moule façonné par et pour les garçons. Je me sens donc très seule avec mes interrogations, mon sentiment profond d’injustice et ma colère en découlant.

L’illustration finale de cette oppression a lieu durant le dernier jour du camp : alors que nous démontons les tentes sur pilotis, je tombe du cadre de celle-ci (situé alors à environ deux mètres du sol) sur mon poignet qui, dans les minutes qui suivent, enfle et se colore en un joli camaïeu bleu. Alors que je me trouve dans la tente infirmerie, les chefs avec qui je me suis battue tout au long du camp débattent de mon cas et affirment qu’il n’est pas nécessaire de m’amener aux urgences pour soigner mon poignet car, je cite : « C’est bon on ne va pas l’amener aux urgences parce qu’elle a mal au poignet, c’est une fille, ça pleure, c’est rien ».

Résultat des courses : j’ai une double fracture, un plâtre pour deux mois et des chefs définitivement sexistes.

Il est clair que mes chefs ont grandi dans une forme de scoutisme bien plus traditionnelle et conservatrice (les idées sur les rapports entre les femmes et les hommes allant de pair avec cette approche) que celle dans laquelle je me trouve. Il y a donc effectivement un décalage entre nos visions, ce qui ne justifie pas leurs comportements à mon goût mais leur donne une explication.

Après avoir constaté que les discriminations envers les femmes sont encore très présentes au sein du scoutisme, je questionne la posture d’éducateurs de mes chefs. J’estime alors que, même dans le cas où nos idées divergeraient, leur rôle est d’accompagner les jeunes qu’ils encadrent dans leurs questionnements et leur évolution personnelle. Comment se fait-il alors que je vive ce camp en me sentant en décalage avec la mentalité du groupe, sans trouver un interlocuteur aidant au sein de la maîtrise ?

Coquelico