L’interview exquise : Aline et le MRJC
On interviewe des gens qui font des choses qui nous intéressent, et à la fin, on demande une question à poser aux personnes que l’on interviewera la fois d’après. Cette fois, parole à Aline, passée par le Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC).
C’est quoi, le MRJC ?
C’est une asso nationale, de jeunes de milieu rural, de 13 à 30 ans. Elle a été fondée en 1929 sous le nom de Jeunesse Agricole Catholique (JAC) et Jeunesse Agricole Catholique Féminine (JACF) : c’est un mouvement de l’Eglise catholique. Il y a environ 15% du budget qui en vient encore, c’est un chiffre en chute constante. À la base, l’idée c’était de créer le « couple JAC » : une forme d’élite sociale catho qui reste à la terre, sur le territoire et qui le fait vivre. Ca a beaucoup bougé depuis !
Dans les années 70, le mouvement a une approche révolutionnaire, y compris portée par les curés et les prêtres ouvriers, mais qui finissent par se faire rappeler à l’ordre. Depuis longtemps, on affirme des positions anticapitalistes explicites. Sur l’Église, il y a vraiment la décision d’y être car c’est important pour nous de faire vivre cette religion dans le mouvement (même si chacun·e la vit comme il·elle veut) et pour tenter de faire changer les choses de l’intérieur. Au quotidien, le rapport à l’Église et à la spiritualité est variable en fonction des territoires.
Comment les gens entrent au MRJC ? Ca a été quoi ton parcours ?
Il y a forcément des entrées par transmission familiale, mais moins qu’avant. C’est beaucoup de personnes qui viennent par des gens de leur réseau, les copain·ines ; ou des jeunes adultes via les postes permanents ou les formations.
Moi, j’ai un peu tout fait : j’ai grandi aux éclés (EEDF), j’ai fait mon BAFA aux SGDF, des séjours avec l’Eglise Protestante Unie, … Au MRJC, il y a cette pratique de l’interpellation : des gens se réunissent pour réfléchir à qui serait bien sur tel poste (bénévole ou salarié), et puis tu reçois un courrier. Moi, j’étais pas au MRJC, mais en 2014, j’habite dans le Tarn, je cherche du boulot, et c’est une copine qui m’en parle et par elle, j’ai reçu un courrier me proposant un poste. Puis 3 ans plus tard, j’ai été « appelée » pour un poste national. Maintenant, je suis revenue dans le Tarn, installée en GAEC sur une ferme, et je suis aussi au conseil municipal de mon village.
Quelles différences tu vois entre le scoutisme et les pratiques péda du MRJC ?
Une grande différence c’est la notion de ritualisation et d’appartenance. Les tranches d’âge, les codes vestimentaires, les symboles… ça n’est pas du tout présent au MRJC, au contraire même. Par exemple, on n’a pas de système d’adhésion. On fait partie du mouvement à partir du moment où on vient à une activité. On participe à l’AG à partir du moment où on y vient. Il n’y a pas cette notion d’entrée / sortie, et donc les parcours sont vraiment multiples, même si en ce moment, ça réfléchit à mieux structurer le parcours de formation.
Sur les activités aussi, c’est très peu modélisé si j’ai bien compris ?
Oui, contrairement au scoutisme, il n’y a pas cette idée de programme éducatif. Fondamentalement, la base du MRJC, c’est des jeunes qui se réunissent dans un village. Au collège, ça peut être se réunir pour faire des crêpes et des jeux, au lycée on va porter des projets plus grands, un festival, un séjour, aller à une manif… À 18 ans pareil, on continue à monter des projets, et souvent on prend aussi des responsabilités pour faire vivre l’asso. Tout ça dépend aussi des départements, des envies, des histoires locales. Les avantages c’est la liberté. Le désavantage c’est que des personnes nouvelles peuvent se perdre, sans savoir par où commencer à s’engager.
La démarche qu’on retrouve fréquemment, c’est celle de l’Action Catholique : Voir, Juger, Agir, et Relire. Voir, c’est rencontrer, visiter, lire, se documenter… Juger, c’est analyser, mettre du sens par rapport à nos convictions. Agir, c’est faire des choix d’actions qui sont cohérents entre les envies du groupe et la réalité du territoire où on est. Relire, c’est pas juste un bilan, c’est vraiment comment moi je me suis placé·e, qu’est-ce qui m’anime et pourquoi je suis là sur ce sujet. Cette partie peut être vu sous le prisme de la spiritualité et/ou de la religion.
Qu’est-ce que ça implique pour les responsables, comme positionnement ?
En tant que responsable, le scoutisme est plus cadré, quelque part c’est facilitant. Mais au MRJC, il y a des trucs de fou qui naissent, une énorme diversité de projets, et cette idée très forte d’ancrage territorial : on ne fait rien qui ne soit pas adapté au territoire où on est.
Pour moi, c’est une vraie différence avec le scoutisme, cette finalité d’agir pour le territoire. Aux éclés par exemple, j’ai vécu des camps où je n’avais aucune notion d’où on était réellement. Au MRJC quand tu te déplaces, l’enjeu c’est vraiment de connaître le lieu, les gens, et de relire ça quand tu reviens. Te servir du territoire des autres pour enrichir ta vision du tien.
La gouvernance du MRJC est assez différente de celle des assos scoutes…
C’est vrai que déjà, on parle de militant·es, que les gens soient bénévoles ou salarié·es. Tous les postes de responsables (bénévole et salarié·e) sont sur des mandats de 3 ans. Tu peux continuer ensuite, mais en changeant de poste. Et tu ne peux pas prendre un poste si tu as plus de 30 ans : 30 ans c’est la limite.
D’où le fait que le MRJC, c’est vraiment un mouvement de jeunesse en fait ; contrairement au scoutisme, où il n’y a pas cette limite statutaire, et où même originellement, il y a l’idée que des adultes pensent des programmes pédagogiques pour des plus jeunes…
Après, avec un peu de recul, je dirais que ce qui est structurant, c’est vraiment ce principe de rotation après 3 ans. 3 ans, c’est vraiment le temps du changement. Plus que la limite des 30 ans, car en fait peu l’atteignent, on peine un peu à mobiliser les 25-30 ans.
3 ans, c’est sur que ça pose des enjeux sur la transmission. Connaître l’histoire de l’asso pour pas refaire les même erreurs parce qu’on a oublié. Mais quand tu es là pour 3 ans, tu t’investis à cette hauteur, tu donnes beaucoup d’énergie. Ça fait un côté « thermomètre de la société », avec des prises en compte très rapide des problèmes qui émergent. Y a pas trop de phénomène de vieux cons ou vieilles connes du coup.
Il n’y a pas de souci sur la fin des postes salariés ?
Pas vraiment. Les gens partent en rupture conventionnelle, iels le savent dès le début, c’est rare que ce soit problématique. Les seules exceptions, pour les 3 ans et les 30 ans, ce sont les postes « ressources », c’est à dire comptable, RH, chargé·e de valorisation, c’est environ 5 personnes. Eux·elles n’ont pas de limite de contrat sauf le directeur, qui peut rester que 5 ans. Car comme c’est un poste important, s’il restait plus, il y a un risque d’accaparement du pouvoir, par le simple fait d’une meilleure connaissance du passé que le bureau en place (en mandat de 3 ans).
Plus largement, il y a très peu de hiérarchie des salaires (hors postes « ressources »). Globalement, c’est le SMIC + l’ancienneté, qui du coup est au max de 6 ans si tu fais deux postes différents. Quand tu es dans l’équipe nationale, tu es logée à Paris en plus, en compensation du coût de la vie et de ton déracinement. C’est clair quand tu vas au national : il y a cette idée de sacrifice, que tu acceptes pour l’asso de quitter temporairement le territoire qui est important pour toi. On devient vite chauvin·e au MRJC !
Du coup, le CA ça marche comment ?
Le CA National, c’est des représentant·es envoyé·es par les départements. Le Bureau c’est les personnes « appelées » en équipe nationale par le CAN. Les membres du CAN sont bénévoles et ceux·celles du Bureau sont salarié·es et vivent à Paris. L’AG confirme ces gens-là par vote ensuite. Les CA locaux, c’est des gens élus par l’AG départementale.
Le MRJC a pris position tôt contre le Service National Universel (SNU), comme les autres assos du Forum Français de la Jeunesse, c’est à dire les associations gérées par des jeunes.
Oui. Au-delà de la problématique militaire, et de l’engagement obligatoire, le SNU traduit vraiment une vision négative de la jeunesse. Avec cette idée de : il faut occuper les jeunes, un truc entre la jeunesse désœuvrée et la jeunesse dangereuse. Alors qu’il y a vraiment une forme d’éducation citoyenne à penser, sur l’arrivée dans le monde autonome : les bourses, la sexualité, les recherche d’appart, quand je sors du lycée ou du CAP, comment je peux me débrouiller, tout ça. Mais c’est pas ça l’idée, là. Ça rejoint cette approche du refus du RSA avant 25 ans, cette idée que quand t’es jeune, faut que t’en chies et qu’on a le droit de t’imposer des trucs car t’es pas encore « adulte ».
Quand tu siégais au CESE*, tu as parlé de ta vision de l’éducation populaire dans une vidéo, est-ce que tu peux développer ?
Pour moi, il doit y avoir une dimension de transformation sociale. L’idée que les personnes qui sont le public aient vocation à devenir les décideur·euses rapidement. Or, dans beaucoup d’associations « d’éduc pop » où les gens font carrière, ce mouvement n’existe pas, voire est impossible. Ça devient de l’action sociale, et plus de l’éducation populaire. C’est important d’être dans une structuration qui soit pensée par et pour, pas juste pour…
Dans cette logique, la non-mixité en âge du MRJC, ça permet d’aller plus fort, plus haut, plus loin, et d’être une passerelle : que les gens soient piqués par la mouche de l’engagement, que ça donne le goût : et alors tu peux rejoindre la société plus large et y faire vivre tes engagements.
Au MRJC d’ailleurs, c’était assez drôle quand d’autres espace de non-mixités (de genre, LGBT, etc) ont été proposés. Certain·es ont trouvé ça problématique au début, mais c’était facile de rappeler que nous on faisait déjà de la non-mixité de jeunes depuis 90 ans. Et donc de faire comprendre cette notion d’empowerment, de l’importance d’avoir des espaces entre pairs pour te préparer aux espaces de mixité. Quand tu y vas après, tu es beaucoup plus ancrée.
Est-ce que d’après toi, la notion d’interculturalité ville / campagne a un sens ?
Le MRJC c’est des jeunes ruraux, mais qui pour beaucoup ont été faire un bout d’études à la ville. Les jeunes qui restent complètement à la campagne n’ont dans les faits pas la même place : on les trouve dans les groupes de jeunes en local, mais peu à prendre des responsabilités dans l’asso ensuite. Durant ce moment des études en ville, les ruraux se retrouvent souvent entre elleux aussi, parce qu’il y a un rapport à l’espace, des fonctionnements, un peu différents.
On établit souvent un lien avec le vécu des jeunes des quartiers urbains. Il y a l’évidence qu’on partage certaines réalités : l’éloignement des centres d’activité, des services publics, du délaissement de l’État, le chômage, ça nous donne des réalités de vie avec des points communs. Le petit côté chauvinisme du quartier qui en découle aussi. Mais l’autre évidence, c’est qu’on a pas la même image médiatique.
Les jeunes ruraux n’ont juste pas d’image médiatique, ceux des quartiers ont celles d’une jeunesse dangereuse. Ça a des conséquences concrètes, sur la lutte et la colère, et sur une possibilité différente d’avoir prise sur les choses.
Les jeunes ruraux, on s’en fout, du coup c’est dur d’attirer l’attention. Mais le rural c’est aussi l’espace des possibles. Si tu habites sur place, le cercle vertueux en milieu rural peut aller vite. Tu es quelques un·es, tu vas voir le maire, ça se fait. Il y a une forme de solidarité liée à la complexité partagée de vivre là.
Propos recueillis par Maud
*CESE : Conseil Economique Social et Environnemental
Pour voir l’interview d’Aline sur l’éduc pop (4mn50) : https://youtu.be/5bxhJqJ-f2Y