23 septembre 2021

Scouts et Guides de France Entre mixité, homogénéité et coéducation

Par allumefeu

Les 29, 30 et 31 Mai 2004, lors des assemblées générales de leurs deux mouvements, les Scouts de France et les Guides de France, mouvements catholiques du Scoutisme Français, fusionnent pour ne plus former qu’une seule association. Jusque là, les Guides de France était un mouvement exclusivement féminin. Les Scouts de France, mouvement à la base masculin, s’était quant à lui ouvert aux filles en 1982.

2004, cela parait assez tardif dans le sens où la mixité est déjà acquise dans la société française et notamment dans les établissements scolaires depuis près de 30 ans. Pourquoi cette fusion n’a pas été faite plus tôt comme cela a été le cas des autres mouvements de scoutisme comme les Eclaireurs et Eclaireuses de France, mouvement laïc mixte depuis 1964, ou encore les Eclaireurs et Eclaireuses Unionistes de France, mouvement protestant mixte depuis 1970 ?

Même si la fusion des Scouts et des Guides de France, est perçue et présentée aujourd’hui comme un heureux mariage, une sorte de happy end logique pour deux mouvements partageant tant de points communs, les archives du mouvement révèlent une histoire plus mouvementée. En effet, si à première vue, cette non-mixité peut être associée au caractère religieux du mouvement, elle est en fait le fruit de revendications, des Guides de France, en faveur de la préservation d’une certaine liberté que leur garantie un mouvement majoritairement féminin. L’approche genrée de ces archives permet ainsi de déconstruire les discours officiels et comprendre un peu mieux la vision de ces femmes.

L’histoire de la mixité chez les Scouts et Guides de France, possible grâce à l’étude des archives prolifiques du mouvement, nous invite ainsi à questionner, non seulement dans la société française mais également au sein des associations de jeunesse, des concepts qui nous semblent acquis comme celui de la mixité.

Un rapprochement timide (1973-1981)

            Dans les années 60, les premières générations de babyboomers ont grandi et sont devenus des adolescent·es, élevé·es dans une société de consommation radicalement différente de ce que leurs parents pouvaient connaitre au même âge. Les événements de 1968 sonnent comme une crise sociale puis politique, qui va bousculer les fondements de la société française Gaulliste par la profonde remise en cause d’un système considéré comme dépassé. Ils symbolisent aussi et surtout, l’apogée d’un conflit générationnel qui va démarrer dans les universités.

Les mouvements de jeunesse comme les Scouts de France et des Guides de France, ne vont ainsi pas être épargnés par ces remises en cause, d’autant plus que leurs cadres, en l’occurrence les chefs et les cheftaines sont généralement de jeunes adultes entre 17 et 25 ans.

C’est ainsi à cette époque et dans les suites de Vatican II, que les réformes concernant les pédagogies, les tranches d’âges et les uniformes vont venir bousculer le monde des deux associations, conduisant par la même occasion, à la création des Scouts Unitaires de France.

Durant ces temps de changements politiques et sociaux et face à la diminution croissante de leurs effectifs, les Scouts de France et les Guides de France, liés par les récents événements, décident d’organiser trois jours d’intenses débats et de réflexions pour évoquer ensemble, le futur de leurs associations, mais également leur place et leur pertinence dans cette société française en pleine mutation.

Les 29, 30 et 31 Juillet, 10 000 d’entre elles/eux se réunissent à Mons-La Trivalle, dans l’Hérault, en dessous du plateau du Larzac. Les mouvements voient le monde évoluer et s’interrogent sur la manière de s’y adapter. Quels sens ont scoutisme et guidisme, deux mouvements catholiques non-mixtes dans une France qui se sécularise et où la mixité devient la norme ?

Dans le Livre de la Trivalle, archive qui rassemble les discussions des participant.es de ce jamboree, le chapitre « Mixité et Coéducation »[1] rassemble les témoignages d’unités Scouts de France qui auraient apparemment accueilli spontanément des filles dans leurs équipes, mais aussi des exemples de maîtrises mixtes. 

Il semble que l’enthousiasme des chefs et cheftaines à l’idée d’un rapprochement des deux mouvements qui transparait à travers ces archives ait été relativement bridé par les deux Nationaux et que le retentissement de ce rassemblement n’ait pas eu l’effet escompté. La découverte d’une mixité « sauvage » apparemment pratiquée dans certaines unités, les conduit à réfléchir autour des questions liées à la sexualité. On remarque cependant, qu’iels n’adoptent pas la politique de l’autruche à cet égard et encouragent même les chefs et cheftaines à en parler dans leurs unités, dans le respect, bien sûr, de leur vision hétéronormée du couple et de la famille. Il ne semble donc pas que ces questions soient le principal frein au rapprochement des mouvements.

 Ces discussions marquent les débuts d’un rapprochement entre les deux associations, notamment autour de la question des unités mixtes déjà existantes.

 La commission « mixité-coéducation » (1974-1977)

 Après le rassemblement de la Trivalle les deux mouvements décident de se pencher ensemble, sur les cas d’unités mixtes qui existent apparemment. La Commission Mixité et Coéducation est donc créée en 1974. Elle rassemble des membres des deux mouvements et a pour but de recenser ces différents groupes mixtes afin de réfléchir à une proposition pédagogique commune aux deux mouvements concernant ce fait. Voici la définition que les mouvements scouts et guides vont désormais utiliser comme référence, la coéducation : un système adapté aux garçons et aux filles, qui reconnaît et se fonde sur leurs différences et les réfléchit en fonction de leur identité sexuelle et de leur âge. Ce terme et le concept qui l’accompagne sont alors préférés par les deux associations à celui de « mixité » qui, à l’inverse, renvoie à un traitement indifférencié des garçons et des filles.

La ligne principale des SdF et des GdF n’étant toujours pas la coéducation, et encore moins la mixité, car ils estiment que ce sujet n’a pas été assez défini pour le mettre en place. Ces unités mixtes sont donc à contre-courant des deux pédagogies alors proposées. Il semble être important aux yeux des deux mouvements de s’intéresser de plus près à ces groupes, sans les interdire, sans les encourager, mais en faisant d’abord un état des lieux de la situation et voir quelles mesures prendre afin, également de mieux les encadrer, comme une sorte d’étude expérimentale.

Afin de comprendre mieux ces unités qui pratiquent la mixité les 5 et 6 Juin 1977, un grand week-end est organisé par le Comité mixité coéducation avec les chefs et cheftaines des unités concernées par la question afin « de s’interroger sur la plus-value ou les carences d’une coéducation » [2]. Durant ce week-end sont questionnés « la question de la sexualité et des relations affectives » mais également la place des filles dans ces unités.

Il est ainsi intéressant de remarquer que les inquiétudes qui transparaissent majoritairement à travers les questionnaires distribués aux chefs et cheftaines durant le rassemblement, sont ceux qui concernent la place des filles dans ces unités. En effet, à travers ces sondages, le comité remarque que ces unités mettent généralement en application la pédagogie scoute. Les Guides expriment alors leur crainte que les filles soient effacées ou s’effacent au profit des garçons. Des questions comme « Qui fait la vaisselle ? » ou « Qui fait les corvées ? » sont posées vraiment sérieusement.[3]

Ces questions traduisent une peur de la reproduction des « habitudes de la sphère familiale »[4] dans l’unité et c’est exactement ce phénomène que les Guides de France cherchent à combattre dans cette période post-soixante-huitarde

Cette inquiétude des Guides par rapport à la place des filles remonte à la création même du mouvement en France. Dans les années 1920 et dans les milieux catholiques, sortir les filles du cadre domestique pour leur faire faire des activités en plein air est déjà une petite révolution.

À une époque où le droit de vote est interdit aux femmes et où leur accès à l’espace politique et public est très restreint, l’engagement associatif constitue un premier levier émancipateur non négligeable. Dans cette optique, bien que très respectueuses de l’essentialisme catholique, les Guides de France vont commencer à écrire leur histoire.

Il n’est donc pas étonnant que dans ces situations de mixité, et suite à l’électrochoc féministe des années 68, une attention toute particulière soit accordée à ces stéréotypes de genre afin qu’ils ne soient pas reproduits dans cet espace « sûr » qu’est censé être celui de l’unité. Les réponses des chefs et cheftaines laissent à penser que ce n’était vraisemblablement pas le cas.

Suite à cette commission, un contrat d’Associations est conclu en 1979 entre les deux associations qui s’avérera révélateur de nombreux désaccords[5].

En effet, là où les Guides commencent à élaborer une hypothèse solide de confédération, les Scouts quant à eux, réfléchissent à un mouvement commun et en cas de refus de leurs homologues féminines, se préparent à accueillir des filles dans leurs unités. Au cœur de ces tensions, on retrouve une nouvelle fois les questions de mixité et coéducation sur lesquelles les deux mouvements s’opposent plus que jamais.

D’un côté, les Scouts de France, voient une association unique comme seule alternative à la survie et à la pérennité des mouvements[6], et envisagent donc la coéducation comme inévitable pour l’avenir. Elle est pour eux, le moyen nécessaire à la survie. C’est pour cette raison qu’ils mettent régulièrement en avant la nécessaire ouverture aux filles dans les endroits où les Guides ne sont pas implantées.

À l’inverse, pour les Guides, la priorité réside dans ce qui fait la singularité même du mouvement à savoir, leur indépendance et l’éducation des filles et donc, l’homogénéité, la stricte séparation. Pour elles, une association unique qui installe la coéducation signifie la fin de ce pilier de la pédagogie guide. Au final, le problème de fond, plus que celui là, est bel et bien celui de la place des femmes au sein des mouvements.

À la différence des Scouts, la coéducation serait ainsi une sorte d’idéal à atteindre au même titre que l’égalité entre les femmes et les hommes et non un moyen de l’atteindre. La coéducation leur apparait donc comme une fausse bonne idée ou en tout cas une finalité à réfléchir et à atteindre, à beaucoup plus long terme. 

Cette position et ces revendications ont valu aux Guides de France d’être comparées, bien qu’elles s’en défendent absolument, à une association féministe, notamment par les Scouts de France.

Il faut dire que les Guides de France en tant qu’association féminine catholique se trouvent à la croisée de différentes dynamiques. Même si les Guides de France ne se sont jamais revendiquées comme féministes, on constate que c’est véritablement la place des filles au sein d’un mouvement mixte qui leur fait redouter la fusion.

La rupture (1981-1997)

            L’année 1982 marque définitivement un tournant dans les relations entre les deux associations. De cette rupture qui fait suite à l’ouverture des Scouts de France aux filles, le mouvement Guide va ressortir très affaibli. Même si le mouvement SdF parle de « coéducation », force est de constater que dans son application, c’est une mixité qui se met en place dans les unités. Malgré les tentatives de discussions, et même si iels sont d’accord sur le but, les cadres des mouvements sont encore en désaccord profond sur le moyen d’arriver à une proposition qui, s’adressant autant aux garçons qu’aux filles, permettrait cependant, la « promotion » de ces dernières. Les Scouts considèrent toujours la mixité comme un moyen et les Guides comme un but.

Plus que cela, on assiste à la fin des années 1980 et au début des années 1990 à un conflit qui semble se cristalliser autour des identités même des mouvements jusqu’à en être presque déconnecté des réalités de terrains qu’iels citent pourtant afin d’appuyer leurs points de vue. La priorité des groupes à l’échelle locale est avant tout : la survie. En cette fin de XXème siècle durant lequel les effectifs des mouvements de scoutisme en général ne cessent de baisser, la réalité du terrain commence à rattraper les querelles de clochers et l’hypothèse de la fusion apparaît de plus en plus comme inévitable.

En 1997 ont lieu à Paris, les Journées Mondiale de la Jeunesse, plus communément appelées JMJ, rassemblement mondial de la jeunesse catholique. Cet événement voit ainsi une collaboration active des Scouts et des Guides qui n’avait pas eu lieu depuis plusieurs années. Il est ainsi décrit comme l’événement qui « ravive l’espoir d’une collaboration ».[7] Ce rassemblement a sûrement contribué à donner l’image des deux mouvements, alors rassemblés comme une seule et grande famille.

La baisse des effectifs du côté des guides et les problèmes financiers des scouts engagent les Nationaux à envisager de plus en plus sérieusement une fusion de survie.

La fusion, sa mise en place et ses conséquences

Pentecôte 2004, les Scouts de France et les Guides de France sont simultanément rassemblé.es à Lourdes pour leurs Assemblées Générales. Le choix du lieu n’est pas anodin et on peut imaginer la volonté des mouvements de réunir les membres du mouvement dans un esprit de communion transcendant les barrières des mouvements, pour en faire une assemblée unie de croyant.es. La création du mouvement unique est votée le 29 Mai 2004 à 85,5% pour les Guides et à 91% pour les Scouts, présent.es aux Assemblées Générales.[8]

Après des années de discussions, d’affrontements, de rencontres, de pertes d’effectifs, de projets indépendants, de réunions… les Scouts et Guides de France sont né.es. Pour les branches, on parle désormais des louveteaux/jeannettes, des scouts/guides et des pionniers/caravelles. Ce vocabulaire différencié, qui avait fait débat lors de l’ouverture des SdF aux filles, incarne à lui seul une volonté de compromis.

Comment cette nouvelle association a-t-elle réussi la transition, et notamment au niveau des cadres des deux mouvements et des deux bureaux ?

Au final, les craintes des cadres des Guides de France semblent avoir été fondées car, malgré une bonne volonté de départ, on remarque que l’effort s’essouffle rapidement. Même si l’organisation nationale des Scouts et Guides de France compte et a toujours compté depuis sa création, de nombreuses femmes, on peut ainsi déplorer qu’elles n’occupent pas en majorité les postes les plus influents alors que pour les Guides de France, le fait d’avoir des femmes à la tête du mouvement faisait partie des priorités depuis la création du mouvement. Malgré le fait que l’associatif ait été historiquement, un des premiers leviers pour l’émancipation féminine, il est à regretter que le « plafond de verre » y soit aussi présent. Sans parler bien évidemment de la dynamique intersectionnelle toujours quasi-invisible au sein de l’organisation nationale.

Suite à cette fusion, on assiste également au sein du nouveau mouvement à une invisibilisation du mouvement guide. En effet, Le parti pris du National, afin une nouvelle fois de ménager les susceptibilités, est que chacun.e des membres de la nouvelle association répondra désormais au nom de « scouts et guides ».[9]

Cependant, en 10 ans de scoutisme, je n’ai que très rarement entendu des personnes se présenter sous cette appellation, la fille ayant même plutôt tendance à dire « Je suis scoute ». Est-ce dû à la perte des anciennes Guides dans le nouveau mouvement ou au surnombre des Scouts de France lors de la fusion, mais il semblerait qu’une partie de la culture Guide de France a commencé à s’éteindre à cette date. Robert Baden-Powell et son intemporelle moustache sont des incontournables de la culture SGDF, de même que Jacques Sevin et le Chanoine Cornette sont des noms familiers. En revanche, qui se souvient d’Olave Baden-Powell, Albertine Duhamel ou Marie Diémer ? À part les cadres de l’association, peu de monde je pense…

Si la culture Guide semble s’être effacée au fil des ans, on peut se demander si la question de la place des filles, est toujours d’actualité dans le mouvement et donc si la fusion a entraîné la mise en place d’une coéducation attentive à chacun.e ou une mixité comme elle peut se pratiquer dans les établissements scolaires.

La mixité questionnée

Au fil des archives et depuis la découverte des unités mixtes après la Trivalle, les deux mouvements ont essayé de définir ces deux termes. Il en est sorti comme nous avons pu l’évoquer précédemment, que le terme de « coéducation », à savoir l’éducation de chaque jeune en fonction de son identité sexuée, l’a emporté sur celle de mixité, en opposition à un traitement indifférencié des garçons et des filles sur le modèle de l’école.

Lors de la fusion, la coéducation semble être toujours le meilleur compromis, conformément aux angoisses des Guides de voir les filles s’effacer au profit des garçons à cause d’une certaine indifférenciation. Cependant, dans les rapports d’activité des années suivant la fusion, cette attention particulière à la place des filles semble s’être également effacée de même que l’insistance sur la coéducation.

Ironiquement, c’est dans les années où les deux associations décident de fusionner et de mettre en place cette mixité, vilipendée depuis des années, que la mixité au sein des établissements scolaire commence, quant à elle à être questionnée. De même, historiographiquement, Rebbeca Rogers date d’ailleurs, les débuts de l’histoire de la mixité et plus particulièrement l’éducation des filles en France, aux années 1980. C’est donc au moment où les Scouts de France décident de s’ouvrir aux filles que les premiers bilans qui mettent en avant et les faiblesses de ce système sont dressés.[10] Nicole Mosconi dans son article intitulé « La mixité : éducation à l’égalité ? », paru dans la revue Les Temps moderne en 2006, démonte ainsi le mythe de la réussite scolaire des filles comme symbole des effets bénéfiques de la mixité. En effet, elle explique que si les résultats de ces dernières sont meilleurs, ils le sont prioritairement aux niveaux primaires et secondaires, et que les stéréotypes de genre sont toujours aussi présents dans le choix des filières.

Ces stéréotypes se perpétuent de manière insidieuse mais sont toujours bien présents, par exemple dans les manuels scolaires où l’enseignement en lui-même.[11]  Ainsi, les élèves apprennent par exemple, une histoire de France où les hommes sont majoritairement les protagonistes, à travers les yeux des hommes, il en est de même en littérature et dans d’autres matières… La persistance des stéréotypes de genre et des inégalités femmes/hommes n’a ainsi pas été résolue par la mixité comme elle est pratiquée dans l’éducation qui contribue en partie, à les perpétuer. Les limites de ce système, notamment dans sa dimension socio-sexuée sont ainsi mises en avant.

Et si les Guides de France avaient eu une longueur d’avance sur tous ces questionnements ? En effet, comme on l’a vu l’une de leurs préoccupations principales a toujours été la place des filles et c’est cet élément qui les a amenées à rejeter une fusion à plusieurs reprises. Elles dénonçaient déjà dans les années 1970 une mixité qui ne prendrait pas en compte les aspects sociétaux insidieux des inégalités femmes/hommes. Elles ont toujours insisté, au grand dam des SdF, pour qu’une véritable réflexion soit engagée autour de la mixité et de ses limites. Bien qu’elles se soient inscrites dans une démarche essentialiste qui leur fait insister sur une coéducation plus respectueuse de la « nature » des filles, on ne peut nier que leurs réticences au fil de ces années, dépassent les stéréotypes biologiques pour construire un véritable argumentaire égalitaire et émancipateur.

Non seulement cette préoccupation accordée à l’expérience particulière des filles semble avoir été mise de côté dans leur nouveau projet, mais la mixité prônée dans les textes par les SGDF semble perpétuer voire renforcer les stéréotypes de genre. En effet, on constate que derrière le discours égalitariste tenu par le mouvement, ayant « l’espoir d’un projet plus humain fondé sur une égalité des hommes et des femmes »[12] il reste très ancré dans le différentialisme. Le terme « différence » et ses occurrences apparaissent ainsi dans cinq des sept paragraphes de la partie « Éduquer des garçons et des filles », quasiment systématiquement mis en opposition avec celui « d’égalité ».

La mixité prônée par le mouvement se concentre ainsi sur les différences plutôt que les ressemblances, sur « l’altérité » et les « besoins spécifiques » des filles et des garçons ce qui participe donc à renforcer les stéréotypes de genre. Car de même, les différences invoquées sont généralement considérées comme biologiques, le contexte sociologique et sociétal dans lequel s’inscrivent ces relations, pourtant si cher aux anciennes GdF, étant ainsi laissé de côté.

 De même, dans les textes, et on le retrouve également dans le rapport d’activité de 2006[13], le mouvement se concentre sur les filles et sur les garçons, mais pas vraiment sur la relation entre les deux dans le sens où la reproduction ou non de problématiques de domination ne semblent pas non plus faire l’objet des préoccupations.

Loin de moi l’idée de prôner une nouvelle et stricte séparation des sexes, que ce soit dans le domaine du guidisme/scoutisme ou dans l’éducation. Ne serait-ce que, comme le souligne Nicole Mosconi, la mixité a participé à la « démocratisation de l’enseignement des filles » et donc de levier émancipateur »[14] pour ces dernières tout en permettant le dialogue entre femmes et hommes. Il s’agirait cependant de savoir quelle mixité mettre en place et comment.

Je terminerai ainsi mon analyse en citant la chercheuse, qui donne selon moi une clef dans l’élaboration d’une mixité plus égalitaire et plus attentive, que j’espère voir un jour dans le domaine de l’éducation, mais aussi, au sein des Scouts et Guides de France :

« Ce qui rend cette mixité, ce mélange des opposés périlleux et difficiles, c’est qu’il existe entre eux des rapports de pouvoir, des rapports de domination qui tendent à transformer ces différences en différences de valeur, lesquelles valorisent le groupe dominant (les Blancs, les riches, les bourgeois, les hommes) et dévalorisent le groupe dominé (les Noirs, les pauvres, les ouvriers, les femmes).

La mixité, pour être un mélange réussi des opposés, doit alors remettre en question ces rapports de domination et les transformer. C’est la condition pour qu’elle permette aux opposés de découvrir tout ce qui les fait semblables : les différences de couleur de peau ou d’ethnies, ou de cultures ou de religion ou de sexes, n’empêchent pas les individus concernés d’être identiques par leur humanité. Un renversement des valeurs doit s’opérer : l’identité humaine devient l’essentiel et les différences deviennent accidentelles, comme dirait Aristote. Les différences apparaissent pour ce qu’elles sont, des constructions de l’imaginaire social. »[15]

Havard


[1] Le Livre de la Trivalle, 1973, Archives des Scouts et Guides de France, Paris

[2] “Coéducation, compte-rendu du week-end des 5, 6 novembre 1977” Dossier “mixité et coéducation”- “Scouts/Guides : comité de coordinations 1976-1981”, Archives des Scouts et Guides de France, Paris.

[3]IBID

[4]IBID

[5]« Contrat d’association entre les Guides de France et les Scouts de France », 1979, Archives des Scouts et Guides de France, Paris.

[6]« Lettre sur les suites de l’AG de 1981 » par Dominique Benard et Bertrand le Gontrec, date inconnue – Archives des Scouts et Guides de France, paris.

[7] FAUCHER Catherine (dir.) Être femme, Être guide : 100 ans de guidisme qui ont changé des vies, éd. Presses d’Ile-de- France, Paris, Novembre 2012, p.161

[8]IBID, p.169

[9] GRUNENWALD Pauline « Questions d’éducation : Scouts et Guides de France, les enjeux d’une fusion », (dir.) DUBESSET Mathilde, IEP de Grenoble, 2004, p.90

[10] ROGERS Rebecca, « État des lieux de la mixité. historiographies comparées en Europe », Clio. histoirefemmes et sociétés [en ligne], 18 | 2003, mis en ligne le 04 Décembre 2006, consulté le 08/05/2021. url : http://clio.revues.org/620 ; DOI: 10.4000/clio.620, p.6

[11] MOSCONI Nicole, VOUILLOT Françoise, « 7. Pourquoi la mixité fait-elle encore parler d’elle ? », in Margaret MARUANI, travail et genre dans le monde, la découverte « Hors collection sciences humaines », 2013, p. 189

[12] « Projet éducatif des Scouts et Guides de France », disponible sur le site : https://www.sgdf.fr/le-mouvement/un- mouvement-de-jeunesse/un-projet-educatif/eduquer-des-garcons-et-des-filles, consulté le 18/06/17

[13] « Rapport d’activités 2006 », Scouts et Guides de France – Archives des Scouts et Guides de France, Paris

[14] MOSCONI Nicole, « La mixité : éducation à l’égalité ? », Les Temps Modernes, 2006/3 (N° 637-638-639), P. 175-197. DOI : 10.3917/LTM.637.0175. URL : http://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2006-3-page-175.htm, P.195

[15]IBID p.177