8 février 2021

Les débuts de la participation scoute aux marches des fiertés

Par allumefeu

Ça commence en 2014/2015. A l’époque, les scouts espagnols et anglais organisaient officiellement des cortèges durant leurs marches des fiertés et publiaient des témoignages de personnes trans dans leurs mouvements. En France, la modération du Cercle scout (sur Facebook) supprimait immédiatement les articles qui parlaient de ces initiatives à l’étranger. Ambiance.

Aux EEDF, on essayait de dépasser les initiatives locales sur les questions de genre et de sexualités, d’en faire un sujet associatif. L’idée de la participation aux Marches des fiertés, c’était un peu exaltant, l’espoir de porter le sujet aussi avec des gens d’autres mouvements, de créer des liens. J’ai longtemps hésité à lancer cette démarche, parce que je suis hétéro et que ça me semblait déplacé de ma part. Et puis plusieurs évènements m’ont fait réaliser à quel point, y compris aux éclés, des adultes et des jeunes devaient vivre leurs attirances en catimini, alors tant pis. En 2015, le groupe Facebook « Organisons une présence scoute à la Pride 2016 » est né (1).

Une avalanche de critiques

L’idée que des gens participent en tant que scout-es aux Marches des fiertés a suscité très majoritairement des réactions négatives. Sur le Cercle scout, l’annonce a généré d’innombrables commentaires homophobes, du plus hard-core dont je vous passe l’argumentaire au « on les accueille par charité chrétienne » en passant par « ça me dérange pas tant que c’est privé ». Certain⸱es ont brandi le respect de la hiérarchie associative : même sans insignes d’une association, il aurait fallu une autorisation pour marcher avec un foulard autour du cou.

Au-delà des oppositions virulentes, beaucoup de réactions négatives hors Facebook tournaient autour de l’idée que ça n’était pas notre place, en tant que scout-es (notamment avec l’idée que « le scoutisme ça n’est pas politique »), et que ça n’était pas nécessaire (puisqu’ « on était déjà pour l’égalité »).

En parallèle, il y a eu une campagne de harcèlement privé qui a duré plus d’un mois. Le groupe d’organisation a aussi été infiltré par des homophobes, il a fallu virer plus de 50 personnes, pour qu’on se retrouve enfin à une petite centaine et qu’on puisse commencer à se projeter concrètement.

Mais on l’a fait !

La première marche a eu lieu le 2 juillet 2016. C’était quelques jours après Orlando, où 50 personnes ont été tuées dans une boite LGBT aux Etats-Unis. On a d’ailleurs porté des brassards noirs, en plus des foulards, c’était un mélange étrange mais puissant.

On était une trentaine, tout ému⸱es et content⸱es. Il y avait des gens des SGDF, des EEDF, des EEIF, des EEUDF et des EDLN. Peut-être d’autres aussi. Hormis les foulards arc-en-ciel commandés auprès du fournisseur des scouts anglais, tout était à l’arrache. On a préparé une banderole « scout, guide, éclaireuses, éclaireurs, fières et solidaires » au jardin du luxembourg (on s’est fait dégager par un vigile, meilleur souvenir). On a fabriqué des petits panneaux qui disaient « pas d’homophobie sur mon camp » ou « le bonheur est ouvert à tous, signé BP » avec de la ficelle sisal et des bouts de bois, so scout. On s’est remis nos foulards arc-en-ciel, et on a marché ensemble. Pour certain⸱es, c’était la première manifestation de leur vie. Pour d’autres, la première fois qu’ils étaient out en contexte scout.

Suite à cela, plein d’autres marches ont été organisées, par des gens qui se sont portées référent-es dans leur ville : ils et elles récupéraient les foulards depuis une commande groupée, et coordonnaient le rassemblement. Plus de 450 foulards arc-en-ciel ont été vendus en 4 ans. Il y a déjà eu des marches à Paris, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Rennes et Metz.

Pourquoi une pride ? Vraie question.

Mais alors au fond, pourquoi la Pride, plutôt que d’autres actions ? D’abord c’était la pride ET d’autres actions : c’était juste une manière de plus d’agir ! Mais elle comportait effectivement un risque majeur : que ça tourne au pinkwashing des associations scoutes. Qu’on finisse par vouloir faire de la pub aux scouts en surfant sur une image cool de la Pride, comme le font tant d’entreprises commerciales aux chars colorés, et comme le dénoncent si souvent les militant⸱es LGBTQIA+. C’est pour cela que le but n’a jamais été que les associations y soient officiellement.

Le vrai but de cette participation, ça n’était pas de changer le regard des gens sur les scouts, c’était de nous changer nous

Nous, les participant-es à la marche : marcher ensemble, quelques jours avant le début des camps*, ça engage. Ça oblige à ne pas laisser passer l’homophobie quelques jours après, ça permet de dépasser la conviction personnelle et d’aller vers une action éducative, pas toujours confortable ou facile selon nos contextes. D’avoir la force et l’énergie, parce que l’obligation morale. Et de savoir aussi qu’on est pas seul⸱es à le faire.

Nous, c’est aussi, les associations de scoutisme. Faire cette action publiquement, en dehors de nos associations mais avec notre identité scoute, c’était aussi garantir que le débat allait faire tache d’huile. Faire réagir en fait, espérer que des choses allaient bouger : que les assos ne participent pas à la pride, pas de souci. Mais que faisaient-elles, contre l’homophobie ? Quelles actions éducatives ? Quels messages ?

Alors qu’est-ce que ça a changé ?

Difficile de le dire. Après la première pride, on a écrit un courrier expliquant notre démarche aux 10 associations agrées scoutisme en France. Vous pouvez le lire ici, on y explique pourquoi pour nous, en tant qu’éducateur⸱ices, on est à notre place dans ces marches.

Quelques semaines après, les EEDF publiaient un communiqué pour la journée de lutte contre l’homophobie. Les SGDF, un visuel à la même occasion. Les EEUDF un texte sur leur site public quelques mois plus tard. Ça peut sembler artificiel : je crois c’est un gros levier d’action. Pour pouvoir agir en interne ensuite certes. Mais aussi parce que les études sur les risques suicidaires des jeunes LGBTQIA+ soulignent par exemple l’importance des messages de soutien explicite de l’entourage et de la société. C’est peut-être vaniteux, mais je pense que notre démarche a joué un rôle dans ces prises de position.

On croise maintenant régulièrement des adultes et des jeunes qui portent le foulard arc-en-ciel (dans mon asso en tout cas). On en voit aux détours d’une photo de camp, sur des photo de profil, autour du cou de gens qu’on ne connaît pas.

Mais le chemin n’est pas fini. L’an dernier, les personnes qui ont été référentes de la marche de Paris ont subi une nouvelle campagne de harcèlement après un post sur le Cercle Scout. Dans certains mouvements, la parole publique sur l’homophobie et l’égalité des droits recule. Et bien sûr, l’homophobie et la norme hétérosexuelle sont toujours là dans nos mouvements – bien sûr, puisqu’ils sont toujours là dans la société.

Maud

(1) Contact : Facebook Organisons une présence scoute à la Pride et oups@listes.tila.im

Les marches des fiertés ont traditionnellement lieu au mois de juin, en souvenir des émeutes de Stonewall où des personnes LGBT ont affronté la police pour faire respecter leurs droits à NewYork.