8 février 2021

La chemise scoute : uniforme ou outil d’émancipation ?

Par allumefeu

Quand j’avais 14 ans, j’étais très inquiet de l’image que je renvoyais de moi-même. Je n’étais pas toujours très bien dans ma peau et j’avais un problème principal : me faire accepter par les groupes que j’admirais. Or, la chemise scoute me posait problème : que faire de cet uniforme ? Était-il une preuve de la ringardise du milieu catho de mes parents ? Ou est-ce qu’au contraire je devais l’assumer, parce qu’au fond, les scouts, je m’y sentais bien. L’entrée aux pionniers-caravelles (SGDF) a été déterminante, car j’ai trouvé un groupe de gens qui avaient l’air hyper cools, et qui malgré tout assumaient leur chemise. Je me souviens que l’une des caravelles, Rose, expliquait un jour qu’elle trouvait sa chemise très importante, car « quand je la porte, je me sens libre de faire ce que je veux, le regard des autres n’a plus aucun impact sur moi ».

Cette idée-là renvoie à un paradoxe de l’uniforme : doit-il être objet de honte ou de fierté ? C’est en tout cas comme ça que je me posais la question à l’époque. Car quel·le scout ou guide débutant·e ne s’est jamais caché un jour de vente de calendrier, en croisant un·e camarade de classe. Et à peu près systématiquement, iel s’est vu répondre par un·e plus âgé·e que l’uniforme doit être porté avec fierté, etc.

Mais ce jour-là, je me suis posé la question différemment : l’uniforme, à priori, ça uniformise, ça nous rend tous pareil. Et même, ça peut donner lieu à plein de dérives, repli identitaire (la « fierté » évoquée plus haut), guéguerre entre les Europes, les SUF et nous, les « Smarties », voir les éclés qui trouvent qu’on a l’air idiots, tous·tes pareil·les engoncé·es dans notre chemise. Un uniforme, ça aide à se sentir membre d’un groupe, mais le risque est de se croire supérieur·e aux autres, celleux qui ne sont pas initié·es. C’est le signe le plus visible de cette dérive des scouts et guides vers le sectarisme. Pourtant, je ne le voyais plus comme ça : au contraire, on peut dire qu’on troque un uniforme contre un autre, l’uniforme des parfait·es adolescent·es populaires, ode à la société de consommation et publicité ambulante, panneau d’affichage du classement social de nos parents, contre une chemise très vite sale, bardée d’écritures au marqueur plus ou moins effacées et compréhensibles et d’écussons collés n’importe où. Bref, l’uniforme n’est pas toujours celui que l’on croit, et pour beaucoup, il y a plus de leur développement individuel dans une chemise que dans des habits classiques.

De plus, comme le signalait Rose ce jour-là, porter l’uniforme, c’est assumer un certain ridicule, accepter de ne pas être conforme à l’image majoritairement accepté chez les adolescents. Or, faire ce travail sur soi, ça permet de s’émanciper de tous ces codes sociaux. Ainsi, beaucoup de ces gens que je rencontrais étaient très différents aux scouts et dans la vie. Iels me semblaient beaucoup plus sur·es d’elleux, mais aussi beaucoup plus drôles et plus gentil·les. Bref, on pourrait imaginer qu’iels avaient moins de mal à s’accepter et à accepter les autres. On avait plus souvent des idées débiles, on allait facilement aux devants des autres.

Il ne faut pas pour autant donner une vision univoque de l’uniforme, ses deux aspects cohabitent : il peut être à la fois outil d’asservissement et d’émancipation, de sectarisme et de construction de l’esprit critique. Bref, il existe autant de manières de porter l’uniforme que de philosophies de groupes. Toutefois, pour moi, il est essentiel que chacun puisse s’approprier son uniforme, tout ce qui peut être cousu ou écrit dessus doit être encouragé. Enfin, à condition qu’on ne les prenne pas pour des galons qui créeraient une hiérarchie entre les jeunes, mais c’est une autre histoire.

Thomas Pseudonyme