L’impossible positionnement des SGDF sur les questions LGBTIA+
Attention : cet article parle brièvement des tentatives de suicide chez les personnes LGBT. Certain·es lecteur·ices peuvent trouver cela dérangeant.
Un jour, en maîtrise, nous avons argumenté en faveur des équipages mixtes, et afin de casser la rhétorique hétéronormée selon laquelle une fille et un garçon seraient nécessairement dans un rapport de séduction, nous avons cité le Guide pour le scoutisme, un livret pédagogique à l’attention des responsables. Nous trouvons ainsi quelques lignes qui traitent de l’homosexualité, et de l’importance de considérer que les jeunes peuvent ne pas s’identifier comme hétérosexuel·les. Et c’est tout. Pas de mention d’autres sexualités que celles du spectre homo/hétéro. Pas de mention des questions de genre non plus. Et surtout, aucun passage, aucune aide, aucune indication sur comment accueillir correctement les personnes LGBTQIA+, qu’elles soient responsables ou jeunes.
Si vous demandez, n’importe qui ayant un minimum intégré les valeurs générales des Scouts et Guides de France (SGDF) répondrait« Les SGDF accueillent tout le monde, peu importe le sexe, le genre, l’orientation sexuelle, la religion… ».
Malheureusement, un monde sépare ce postulat d’un véritable accueil des personnes LGBTQIA+. Ainsi, en l’état actuel des choses et outre ce qui peut être mis en place à l’échelle locale, les SGDF sont théoriquement incapables d’accueillir correctement des enfants ou des adultes qui s’identifient en dehors de la norme hétérosexuelle ou cisgenre.
Il ne suffit pas, et il ne suffira jamais, de proclamer un accueil universel et indifférent pour que ce soit ce qui ait lieu ensuite.
À cette affirmation, on oppose souvent« Pourquoi faut-il accueillir différemment les enfants LGBTQIA+ des autres ? ». Et parmi tant de raisons qui découlent du bon sens, de la bienveillance, ou de ce que devrait être le travail d’éducateur et d’éducatrice, la Cour de Justice de l’Union Européenne a consacré en 2003 le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, et qui interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale.
L’Organisation Mondiale du Mouvement Scout (OMMS), au cours de la 40e conférence mondiale du scoutisme, mettait quant à elle un point d’orgue sur l’inclusion, le respect et l’égalité dus aux personnes LGBTQIA+, laissant donc entendre que les efforts d’accueil doivent être concrets.
Mais alors, qu’est-ce qui bloque entre l’OMMS et les SGDF lorsqu’ils déclarent que le jamborée 2019 n’était pas un jamborée « gay-friendly », qu’ils minimisent depuis toujours l’essor de ces questions, qu’ils ne mettent quasiment rien, voire rien du tout, en place pour accueillir convenablement ces personnes ?
Des obstacles et des choix
On peut voir plusieurs obstacles ; en l’Eglise catholique française, ou du moins en sa branche réactionnaire et conservatrice, et dans les orientations de l’association. Quand l’association s’est vue au cœur d’un article de Valeurs Actuelles qui lui a reproché un « jamborée très gay-friendly » (comprendre : accueillant et sécurisé pour les personnes LGBTQIA+), comment a-t-elle pu faire le choix de ne pas condamner ce magazine connu pour son homophobie, son racisme, son sexisme, mais plutôt de tenter de démentir ce que ce dernier lui reprochait ?
A la suite de cet article, qui visait notamment la remise d’une lettre d’une tribu à M. Blanquer traitant du harcèlement scolaire vécu par les personnes LGBTQIA+, l’association est, dans un premier temps, restée silencieuse officiellement. Puis la présidente de l’association, Marie Mullet-Abrassart a échangé avec le journal La Croix dans un article paru le 28 aout 2019. Elle réfute l’emploi du terme LGBTQIA+ « il s’agissait d’un abus de langage du jeune, car la lettre évoquait en fait le problème de harcèlement scolaire en raison de l’orientation sexuelle ». Cette réponse montre l’ignorance relative à ces sujets qui régit cette association : vivre du harcèlement en raison de son orientation sexuelle, c’est une discrimination qui touche donc directement les personnes LGBTQIA+.
Les SGDF se sont aussi exprimés le 17 mars 2020, dans un tweet, supprimé depuis. Ce tweet répondait à un particulier qui interpellait un évêque sur des sujets touchant aux SGDF, en reprenant notamment les mots de Valeurs Actuelles « Entre le jamborée gay-friendly de 2019 (…) c’est ça les mouvements de jeunesse catholique ? Quid de la doctrine de l’Eglise ? ». Et la réponse, simple et on ne peut plus claire du compte twitter officiel des SGDF « Bonsoir, (…) Il ne s’agissait pas d’un jamborée « gay-friendly ».
Les mots ont un sens, et ceux-ci en sont lourd. Au lieu de s’informer sur les sujets sociétaux actuels, les SGDF réfutent la simple idée qu’ils aient pu mettre en place un lieu inclusif et sécurisé pour les minorités, et refusent, une fois de plus, de prendre position en faveur des personnes LGBTQIA+.
Les SGDF font bien le choix conscient de ne pas avoir une position claire et affichée sur ces questions, avec ce rapport intriqué avec l’Eglise, et appliquent ce choix moral au travers de leurs actions alors qu’ils ne développent aucune politique d’aide à l’inclusion des LGBTQIA+.
Mais l’Eglise, avec toute sa force et ses pressions, ne leur impose pas seule cette attitude d’invisibilisation des questions de genre et d’orientation sexuelle. Ainsi, le Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC), subventionné par l’Eglise de France à hauteur de plus d’un demi-million d’euros en 2016, affiche ouvertement une position antiraciste, féministe, et militante sur les questions LGBTQIA+, notamment avec le projet « Genre et Sexualité en milieu rural » dans lequel il s’est engagé.
Les SGDF ont besoin de l’Église catholique, ou du moins de sa branche conservatrice. Ils en ont même plus que besoin puisqu’ils ont axé la politique de développement de l’association sur les écoles catholiques privées afin de presque doubler le nombre d’adhérent·es en quelques années. Et dans cette politique expansive, il paraît impossible de tacher ce lien avec l’Eglise, quand dans le même temps il est impossible de se positionner contre l’accueil des personnes LGBTQIA+ pour un tel mouvement de jeunesse. Alors en attendant, on ne fait rien.
C’est ce qui gangrène ce mouvement : l’immobilisme. Ne jamais se prononcer pour toujours garder une porte ouverte. Cette porte, ce n’est pas uniquement les personnes qui ont à cœur de créer des espaces sécurisés et sécurisants qui l’empruntent. Alors ce que font les SGDF, c’est laisser la porte ouverte à l’homophobie, à la transphobie, à la violence.
D’abord, la sécurité des jeunes
Devoir vivre, grandir, s’épanouir quand on se sent en dehors des normes sociétales est d’une violence parfois terrible et il parait nécessaire que le scoutisme garde toujours comme priorité que les enfants qui rejoignent nos mouvements soient en sécurité, soient entendu·es et perçu·es à leur juste valeur, et qu’on prenne en compte leurs questionnements.
Fort heureusement, ce choix de ne pas parler, de ne pas proposer de formations, de ne pas s’éduquer n’est pas propre à tous les mouvements scouts. Les Éclaireuses Éclaireurs de France (EEDF) ont publié, par exemple, une brochure qui traite de l’inclusion des personnes transgenres présent·es dans leur mouvement. C’est donc qu’il est possible de mettre en place différentes choses pour atteindre une meilleure égalité de traitement.
Mais alors, que font les SGDF ? Que font-ils à l’heure où, selon un rapport de la National Action Alliance for Suicide Prevention, 5 à 10% des jeunes LGBTQIA+ ont commis une tentative de suicide, des chiffres entre deux et trois fois plus élevés que chez les jeunes hétérosexuel·les, où 22% des étudiant·es homosexuel·les déclarent ne pas se sentir en sécurité à l’école, contre 7% de leurs camarades hétérosexuel·les, à l’heure où une étude canadienne fait état de 4% de tentatives de suicides pour les hommes hétérosexuels contre 43% pour les personnes transgenres. Comment ne pas prendre en considération la spécificité des besoins des personnes LGBTQIA+ ?
L’épidémiologiste Travis Salway écrit ainsi : « Selon la théorie dominante, qu’on appelle le “stress des minorités”, les minorités sexuelles accumulent des facteurs de stress sous de multiples formes qui peuvent aller des insultes aux violences, en passant par le refus de participer à des réunions de famille pour éviter une conversation embarrassante avec un oncle. Même si personne ne dit rien, on vous fait comprendre que vous n’êtes pas normal. Ce stress persiste, même après un coming-out. Nous nous demandons tous, à chaque instant, si nous devons révéler notre orientation sexuelle. Qu’on vive dans le quartier gay d’une grande ville ou pas, le stress cognitif se manifeste chaque fois qu’on prend cette décision.
À long terme, le stress des minorités a souvent pour effet d’engendrer des problèmes tels que les ruminations mentales (pensées négatives persistantes) et un sentiment de profond désespoir. Certaines personnes sombrent dans la surconsommation de médicaments ou l’alcoolisme, d’autres s’isolent et prennent des substances pour tenir le coup.
Nous avons découvert qu’il existe aussi des risques structurels, qui dépassent largement le cadre d’une adolescence vécue dans la dissimulation. Le mariage, les enfants, l’accès à l’emploi ou encore les réseaux de soutien sont des réalités complètement différentes pour les minorités sexuelles. »
Il est inadmissible qu’aujourd’hui la première association scoute française soit incapable de proposer un réel accueil des jeunes, des animateurs et des animatrices LGBTQIA+, qu’il n’existe toujours aucune formation pour sensibiliser les responsables à ces problématiques. Il est inadmissible qu’on continue de minimiser les questions de genre et d’identité sexuelle, qu’on continue de les traiter en tabou.
L’homophobie et la transphobie commencent par l’invisibilisation, et c’est exactement ce que font les SGDF. Lorsqu’ils se cachent en jouant sur les mots, lorsqu’ils réfutent ces problématiques en avançant que ce n’est pas le rôle du mouvement que de prendre parti, lorsqu’ils refusent de travailler activement à l’inclusion et à la protection des personnes LGBTQIA+, lorsqu’ils se cachent derrière leur hypocrisie, ce sont les jeunes et les adultes qu’ils mettent en danger.
Réagissez, vous n’avez plus aucune excuse
Charlie